jeudi 5 juin 2014

"Deux jours, une nuit", ou la reconstruction d’une identité de classe


Bande-annonce : Deux jours, une nuit, des... par Telerama_BA

Le film des frères Dardenne échappe au piège de son intrigue pour proposer une belle parabole sociale et politique, dans laquelle son héroïne, en voulant sauver sa peau, réveille une conscience collective que tout concourait à faire disparaître.
Depuis La Promesse (1996), Jean-Pierre et Luc Dardenne conçoivent et préparent leurs films selon la même méthode, les réalisent avec la même équipe technique, au sein d’un territoire unique (Seraing et ses alentours, en Belgique). Nulle impression de répétition cependant, mais plutôt la certitude que les frères cinéastes creusent un seul sillon, approfondi à chaque film, tant leur matière est riche.
Déterminismes et choix moraux
La psychologie des personnages, toujours ancrés socialement, très souvent à la frontière du prolétariat et du sous-prolétariat, n’est jamais livrée par des ruses et facilités scénaristiques, mais elle affleure dans leurs mots et leurs silences, dans leurs corps en mouvement, corps évoluant et parfois butant dans un décor quotidien et banal. Le déterminisme social est là, massif, injuste, mais les personnages sont toujours confrontés à des choix moraux qui repoussent un peu l’idée de fatalité sociale et familiale - et ces choix esquissent des libérations éventuelles.
Cette démarche semble par certains aspects bourdieusienne : à la somme des déterminismes, indubitables, dont il faut être conscient, on peut ajouter ces propres choix qui seront d’autant plus pertinents si l’on en connaît le caractère relatif. Les frères Dardenne citent d’ailleurs comme origine de leur dernier film Deux jours, une nuit ce que des salariés ont subi et leur ont confié, et un texte de Michel Pialoux, Le désarroi d’un délégué, publié en 1995 dans La Misère du monde (dirigé par Pierre Bourdieu). Dans ce (beau) texte, le sociologue évoque l’amertume et la colère d’un délégué CGT de Sochaux, nommé Hamid, devant l’attitude de ses collègues qui ont pétitionné pour se débarrasser d’un vieux salarié, incapable de suivre le rythme de la production. Absence totale de solidarité de classe, certainement provoquée, entre autres, tant par les nouveaux modes de production et de gestions "managériales" que par la hantise du chômage.

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