Saïd Benmouffok, professeur de philosophie et conseiller
municipal socialiste à Mantes-la-Ville (Yvelines), répond au premier ministre,
Manuel Valls : la gauche est déjà morte. « Plus personne ne sait où la gauche
veut nous mener, ni où elle devrait aller. Nous avons perdu le sens de l’agir
en commun. Nous ne savons plus quoi faire ensemble...»
Manuel Valls a tort. La gauche n'est pas menacée de
disparition, elle est déjà morte. En effet, si la mort est définie comme la
séparation de l'esprit et du corps, alors la gauche a disparu depuis bien
longtemps. Certes, en guise de corps il lui reste des troupes militantes et
électorales, aujourd’hui sévèrement diminuées, et qui étaient capables jusqu’en
2012 de gagner des élections. Mais son esprit n'est plus qu'une somme de
souvenirs et d’idées entretenues dont la vivacité s'estompe un peu plus chaque jour.
Cependant, la gauche, comme les amours mortes, n’en finit pas de mourir, et son
fantôme pourrait faire illusion encore quelques temps sur la triste scène
politique. Le seul problème est de savoir si elle pourra renaître de ses
cendres.
L’achèvement de deux siècles d’histoire
Depuis la Révolution française, la gauche a toujours été
porteuse d’une ambition : le projet d’une société juste et harmonieuse, dans
laquelle l’homme se conduirait non plus comme un prédateur, mais comme un
humain envers son prochain. Il fut un temps où des âmes fortes trouvaient un
sens à sacrifier leur vie pour cette cause. Ce fut au commencement le combat
des révolutionnaires contre l'Ancien Régime. Au XIXe siècle, la gauche porta le
flambeau des libertés individuelles contre l'Etat autocratique. Puis avec
l'avènement du socialisme, ce fut la lutte pour l'émancipation du genre humain
contre le capitalisme. Cette ambition a pu justifier le pire dans l’histoire
moderne. Mais elle a aussi porté le meilleur. Il existait des querelles sur les
moyens politiques: réforme ou révolution? Avec l'Etat ou la société? Dans les
institutions ou en dehors? Mais l'horizon historique était alors le même pour
tous. Et la foi en l'émancipation humaine unissait les hommes de gauche comme
des frères d'arme.
En 1936, le Front populaire était habité par cet esprit,
même s'il s'est vite écrasé, comme dans les années vingt, sur « le mur de
l'argent ». En 1981, le peuple de gauche voulait encore y croire. Changer la
vie, c’était en finir avec ce monde du capital qui corrompt les hommes. En
2012, le candidat socialiste emporta la faveur de son camp lors d’un discours
désignant le monde de la finance comme son adversaire. Preuve s’il en fallait
que les étoiles continuent de briller pour les hommes longtemps après avoir
cessé d'être. Personne ne croit aujourd’hui qu'on changera la vie, mais on a au
moins changé de président.
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