Par Eric Fassin
Pour la gauche gouvernementale, le « réalisme » s’avère irréaliste :
le ralliement au sens commun de droite attise « l’insécurité
culturelle » sans apaiser pour autant l’insécurité économique. La cote
de François Hollande dans les sondages baisse à mesure que progresse
celle de Manuel Valls, car il ne suffit pas de détester les Roms pour
aimer la gauche. De même, la « démagogie » sarkozyenne s’était révélée
impopulaire : les « grands débats » sur l’identité nationale ou l’islam
n’ont pas évité la défaite de 2012. Bref, tout compte fait, « réalisme »
de gauche et « démagogie » de droite ne paient pas.
Pour autant, la désaffection pour la gauche « réaliste » ne bénéficie
guère à la « gauche de gauche ». En revanche, l’extrême droite prospère
à la faveur de la dérive idéologique de la droite. C’est une raison
supplémentaire pour ne pas reprendre à son compte la fausse symétrie
entre les « extrêmes ». De fait, si la droitisation du paysage
politique, depuis les années 1980, justifie plus que jamais de qualifier
le Front national de parti d’extrême droite, être à la gauche du Parti
socialiste n’est plus synonyme de radicalité !
Comment comprendre à la fois l’irréalisme de la gauche
gouvernementale et la faiblesse électorale de la gauche critique ?
Pourquoi l’échec de la première ne fait-il pas le succès de la seconde ?
On aurait tort d’invoquer quelque logique mécanique, la crise
économique déterminant la droitisation de la société française. D’une
part, l’expérience historique nous rappelle qu’en même temps que les
fascismes européens, les années de la grande Dépression ont vu fleurir
le New Deal aux États-Unis et le Front populaire en France.
D’autre part, l’analyse des évolutions de l’opinion (voir Vincent Tiberj, dir., Des votes et des voix. De Mitterrand à Hollande)
dément l’hypothèse d’une droitisation de la société –culturelle mais
aussi économique. Quant au racisme, il ne date pas d’aujourd’hui ; il a
surtout changé d’habits, puisqu’il s’autorise le plus souvent de
rhétorique républicaine. Bref, la droitisation de la politique n’est pas
l’effet d’une droitisation de la société française. Il faut expliquer
la politique par la politique – et non par la société qu’elle prétend
pourtant refléter.
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