Par Isabelle Lorand et Frédérick Genevée, comité exécutif du PCF.
Cher
Jean-Luc, tu le sais, notre engagement pour la constitution d’une force
rassemblant la gauche radicale ne date pas d’hier. Depuis quelque
trente années, des refondateurs aux collectifs antilibéraux en passant
par les états généraux du communisme, nous avons avec d’autres œuvré
sans relâche en ce sens.
Le Front de gauche (FG) est, durablement, la seule voie qui puisse
redonner de la force et de l’espoir à notre peuple. Nous sommes de ceux
qui regrettent la décision des communistes parisiens. Mais nous sommes
aussi de ceux qui se félicitent que, dans l’essentiel des villes de plus
de 20 000 habitants, le Front de gauche soit le cœur de rassemblements.
Et nous sommes convaincus qu’au-delà des configurations, une seule
considération a prévalu au choix de nos camarades : être le plus utile
pour défendre l’intérêt de nos concitoyens, singulièrement les plus
faibles. Nous sommes un Front, et pas un parti. Ce n’est pas un détail.
Si ce qui nous rassemble est plus fort que nos différences, il n’en
demeure pas moins que nous avons des différences. Certaines sont ténues.
D’autres sont plus sérieuses. Nous en voyons deux : la conception du
rassemblement et le centralisme. Dans une interview aux Inrocks, tu
démontres combien ton parti pris clivant est un choix réfléchi, assumé
et défendable : « Ce qui m’intéresse, c’est la fraction la plus
déterminée de notre peuple, celle qui est prête à se mobiliser pour
bâtir une alternative. Je construis sur ce qui tient bon. » Et tu
ajoutes : « Je crois que le conflit crée la conscience. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ton point de vue est
cohérent. Mais tu ne peux ignorer qu’au sein de la vraie gauche, un
autre point de vue, porté de longue date par le Parti communiste,
existe. Il faut rassembler la majorité du peuple de gauche. Plutôt que
de cliver, il faut rechercher les points de convergence les plus hauts
possible, pour lutter et gagner ensemble. Ces deux lignes de force
stratégiques traversent également le mouvement social. À titre
d’exemple, les deux points de vue dans le mouvement des sans-papiers :
régularisation de tous les sans-papiers, ou régularisation des
travailleurs sans papiers comme base de rassemblement pour gagner. Il
serait contre-productif de sous-estimer chacune des rationalités, en les
réduisant à de la faiblesse idéologique, du gauchisme ou pire à de la
trahison. Nous osons même dire que notre diversité d’approche est un
atout. Quant au centralisme, il sera au cœur des débats à venir. De
l’autonomie de vote des parlementaires à l’autonomie des fronts
thématiques, nous n’avons pas la même approche. Nous, les communistes,
avons rompu avec le centralisme démocratique en 1994. Ce n’est pas pour
le voir revenir par le FG. Entre le centralisme démocratique de Lénine
et le désordre créateur de Prigogine, nous aurons à inventer les voies
de la démocratie et de l’efficacité. Les voies qui feront du FG pas
seulement un cartel d’organisations mais un système complexe, comme
dirait Edgar Morin, dans lequel des formes et des pratiques politiques
nouvelles autant que les « apartides » trouveront pleinement leur place.
Tu dis centralisme où nous disons centralité.
Tu le vois, ce qui nous lie politiquement à Pierre Laurent est
quelque chose de bien plus profond que notre longue amitié. Ce qui nous
lie à lui, c’est une culture construite au fil des ans. Et quels que
furent les désaccords et les engueulades, nous sommes toujours là pour
des raisons très profondes. Du coup, chaque flèche en direction de
Pierre nous atteint aussi. Et ne sous-estime pas que certaines blessures
cicatrisent mal… Tu dis parfois qu’il pourrait y avoir un FG relooké,
avec une partie des écologistes, le NPA, les autres composantes du FG,
les gentils « cocos »… Comme beaucoup d’autres, nous ne le voulons pas
car ce serait un FG atrophié et sans avenir. Que serait la France sans
Front de gauche ? Hypothèse mortifère. Bien sûr, le FG traverse une zone
de turbulences. Certains en font leurs choux gras : le Front de gauche
serait mort, Laurent et Mélenchon avec lui. Nous devons mettre le point
final à ces conjectures. La formidable campagne électorale que tu as
portée a produit une telle dynamique qu’elle a surmonté nos différences.
Elle ne les a pas effacées. Dans la durée, il n’y a pas d’autre choix
que d’appendre ensemble à en faire une force. De Leonarda au droit à la
retraite, du droit de vote des étrangers au droit du travail, du mariage
pour tous au pacifisme, de la lutte pour une Europe solidaire au refus
du budget, nous sommes ensemble avec la volonté de construire une
alternative à ce gouvernement. Alors, ne perdons jamais de vue
l’essentiel, poursuivons le débat fraternellement pour que vive le Front
de gauche.
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