S’il est d’usage de laisser le bénéfice du doute à un ministre fraîchement nommé, le profil de Guillaume Kasbarian, qui vient de récupérer le portefeuille de la Fonction et de la Transformation publiques, n’est pas de nature à rassurer les syndicats de fonctionnaires.
Ex-consultant dans des cabinets de conseil, notamment chez Monitor Deloitte (du même acabit que McKinsey), et libéral décomplexé, auteur à l’époque où il était député Renaissance de la loi dite « anti-squat » – considérée comme la plus répressive sur les expulsions depuis des décennies-, ce macroniste de la première heure avait hérité, à la sidération générale des associations, du portefeuille ministériel dédié au Logement, lors du remaniement en février dernier.
La stupéfaction n’est aujourd’hui pas moindre chez les organisations syndicales, même si, raille Natacha Pommet, la secrétaire fédérale CGT de la fonction publique : « Nous n’attendions pas grand-chose d’un ministre issu du gouvernement de Michel Barnier. »
« Simplifier à tous les étages »
Quelques heures après l’annonce du nouveau gouvernement, le successeur de Stanislas Guerini, qui n’a jamais affiché au cours de sa carrière la moindre appétence pour les services publics, s’est tout de même fendu d’un court message sur X (ex-Twittter), en guise d’ébauche de feuille de route pour ce ministère dans lequel il va présider aux destinées de 5,7 millions d’agents publics. Elle tient en quelques mots : « Simplifier à tous les étages et ramener les services publics sur le terrain. »
Au-delà de cet engagement à « ramener les services publics sur le terrain », qui apparaît peu crédible au regard de la politique macroniste de baisse continue des impôts et des recettes, la promesse de simplification n’est pas non plus de nature à rassurer.
« Nous attendons de voir ce qu’il entend par ce terme. Mais tout ce qui a pu complexifier la fonction publique au cours des dernières années est issu des réformes entreprises par les gouvernements successifs sous couvert de simplification », pointe Natacha Pommet.
Claire Lemercier, co-autrice de l’ouvrage La Haine des fonctionnaires*, paru en septembre 2024, partage cette méfiance : « Toutes les mesures ayant conduit au massacre des services publics, opérées depuis les années 2000, ont été imposées au nom de la simplification, un slogan en apparence consensuel mais dont les conséquences ont échaudé les fonctionnaires », pointe l’historienne, spécialiste des relations entre l’État et les entreprises.
Elle en veut pour preuve « la numérisation menée au nom de l’idée de simplification, et qui a, en réalité, compliqué la vie de nombre d’usagers dont le besoin était d’avoir accès à une personne physique ou au moins par téléphone ». En témoignent aussi, selon elle, plusieurs rapports de la Défenseure des droits soulignant combien ces réformes visant « à simplifier » ont, au contraire, représenté des entraves pour les usagers les plus vulnérables qui demandent l’accès à leurs droits.
Un modèle calqué sur le privé
La reprise de ce mantra de « la simplification » par Guillaume Kasbarian n’est pas un hasard pour l’historienne : « Il représente une constante chez les macronistes historiques, souvent issus d’écoles de commerce, passés par l’entreprise, qui ont cette idée très identitaire que le public devrait fonctionner comme le privé, en particulier du point de vue de la gestion des ressources humaines. »
Les huit syndicats représentatifs de la Fonction publique, qui avaient adressé un courrier de mise en garde à Michel Barnier, il y a dix jours, et soumis leurs revendications, ne baissent pas la garde. « Si son but par cette simplification est de continuer à s’attaquer au statut des fonctionnaires et à précariser la fonction publique, il nous trouvera sur son chemin », avertit pour sa part Natacha Pommet.
Pour l’Union interfédérale des agents de la fonction publique de Force ouvrière, qui a publié un communiqué de presse le 23 septembre, « la simplification et la transformation de l’action publique ne doivent pas être synonymes de restriction budgétaire ». À l’unisson des autres, le syndicat pointe la nécessité de renoncer au projet de loi Guerini, considéré comme une atteinte à leur statut en menaçant notamment de faciliter les licenciements, de supprimer les catégories administratives (A, B et C), et de généraliser les primes au mérite. Ils exigent surtout d’ouvrir au plus vite des négociations sur les salaires.
Dans une étude publiée le 19 septembre, l’Insee révèle ainsi que, malgré l’augmentation générale de 3,5 % accordée par le gouvernement précédent, après plus d’une décennie de gel du point d’indice, les salaires nets des fonctionnaires ont reculé en moyenne de 1,4 % en 2022, une fois prise en compte l’inflation.
* La Haine des fonctionnaires, Julie Gervais, Claire Lemercier, Willy Pelletier, éditions Amsterdam, septembre 2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire