lundi 2 septembre 2024

La France se droitise-t-elle ?


 On entend un peu partout que la France serait « de droite » et donc que son gouvernement devrait l’être aussi. Mais la réalité est bien plus complexe et subtile.

Le politiste Vincent Tiberj publie un des meilleurs livres de sociologie politique qu’il m’ait été donné de lire depuis bien longtemps1. Il ne veut pas s’en tenir à la commode notion de « droitisation » de la France. Ou plutôt, il récuse l’idée qu’elle agirait tout aussi bien « par en bas » que « par en haut ».

Par en bas, les données disponibles suggèrent plutôt une montée tendancielle des valeurs d’ouverture et de tolérance, dont la récente cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques a montré tout autant la force que l’impact populaire. L’acceptation de « l’autre », dans toutes ses dimensions, est plus avancée qu’elle ne l’était il y a encore une vingtaine d’années.

Le problème est que ce processus, inégal, en dents de scie mais attesté, ne s’exprime pas dans l’espace politique et médiatique. C’est au contraire l’extrême droite qui a su imposer ses mots et son calendrier. Une partie de la droite s’est avilie à se placer dans son sillage. Quant au macronisme au pouvoir, enfermé dans sa tour d’ivoire, il a décidé de jouer avec le feu, au nom d’une realpolitik bien mal venue.

Pourquoi, alors que les valeurs humanistes progressent, est-ce que ce sont les valeurs contraires qui prévalent dans le champ politique ? Pourquoi les mobilisations électorales se font-elles au bénéfice d’une droite droitisée et pas de la gauche, même rassemblée ?

Vincent Tiberj, maître avisé des outils d’analyse des opinions, a l’immense mérite de nous montrer qu’il n’y a nulle fatalité dans ce décalage du « bas » et du « haut ». Mais encore faut-il pousser jusqu’au bout le décryptage du mystère ultime. Pourquoi, alors que les valeurs humanistes progressent, est-ce que ce sont les valeurs contraires qui prévalent dans le champ politique ? Pourquoi les mobilisations électorales se font-elles au bénéfice d’une droite droitisée et pas de la gauche, même rassemblée ?

Il ne suffira pas alors d’incriminer les méchants de l’autre camp, les cyniques de l’entre-deux ou les tièdes du côté gauche. Le problème est du côté de la gauche dans sa globalité, de ce qu’elle est, de ce qu’elle a fait, de la manière dont elle fonctionne et de sa capacité à se renouveler sans se renier. L’extrême droite a hélas su le faire ; pourquoi pas la gauche ?

Au fond, les récentes législatives nous donnent bien l’image d’une réalité à double face : le premier tour a illustré une fois de plus la prégnance accrue des valeurs de fermeture dans l’espace politique, mais le second a montré qu’une majorité n’entendait pas qu’elles deviennent officiellement l’ossature des pouvoirs institués.

Il reste donc à faire, d’un projet fondé sur l’ouverture et la tolérance, la base légitime des majorités à venir. La gauche n’y est pas parvenue à ce jour. Qu’elle surmonte ses propres limites pour atteindre cet objectif est donc désormais un enjeu crucial. La crise politique est trop profonde pour qu’elle se permette de contourner la tâche du renouveau.

  1. Vincent Tiberj, La droitisation française : mythe et réalités, PUF, à paraître le 4 septembre ↩︎

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