vendredi 16 mars 2018

Syrie. Afrin meurt dans le silence du monde

Les bombardements turcs ont touché des zones proches de l’hôpital hier après-midi. La population craint l’entrée des djihadistes dans la ville, synonyme de viols et d’égorgements. Des habitants témoignent pour l’Humanité.
Les habitants du canton d’Afrin et les forces de défense résistent depuis maintenant cinquante-cinq jours à l’invasion de l’armée turque épaulée de ses supplétifs djihadistes. Cinquante-cinq jours de bombardements massifs, de destructions, de morts et d’exactions perpétrées par les anciens membres de Daech, du Front al-Nosra (al-Qaida) ou de brigades islamistes qui sévissaient à Alep-est, reconvertis au sein de l’Armée syrienne libre (ASL). Hier, en milieu d’après-midi, le pilonnage a été intense. Les zones autour de l’hôpital ont été touchées. Des dizaines d’obus et de roquettes se sont abattues, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés. « Depuis une semaine, la situation est particulièrement critique, explique Nergiz Afrin (un pseudonyme pour éviter toutes représailles turques) du centre d’information Résistance Afrin. L’État turc a complètement bloqué l’alimentation en eau de la ville. Le barrage de Meydanki, principal réservoir d’eau d’Afrin, a été bombardé, tout comme le réservoir de Metina. De plus, les antennes de téléphonie mobile sont systématiquement détruites, isolant totalement de nombreuses familles. »

Une situation sanitaire qui s’aggrave

200 000 personnes ont fui cette avancée, laissant tout derrière elles, n’emportant que les simples vêtements qu’elles portaient. Beaucoup ont trouvé refuge dans la ville d’Afrin et sont maintenant prises au piège, comme le montrent les témoignages que nous publions (lire ci-contre). Elles seraient actuellement près d’un million.
Le conseil social de la ville tente de faire face malgré les bombardements incessants. Les écoles servent maintenant de dortoirs. L’eau, rationnée, est distribuée, de même que de la nourriture. Seules quelques épiceries sont ouvertes, plus rien ne fonctionne. La situation sanitaire s’aggrave. Il n’y a pas assez de personnels pour soigner les blessés et plus assez de médicaments. La solidarité s’organise néanmoins et des familles en accueillent d’autres. Elles sont trois, cinq, voire dix à tenter de survivre dans la même maison. Malgré cela, ils sont très nombreux à dormir, avec leurs enfants, dans les ruines, dans le froid et les dangers de la nuit. 250 civils ont été tués depuis le début de l’offensive turque, le 20 janvier. Mardi, un enfant de 14 ans a péri lors d’un bombardement sur le district d’Eshrefiye. « Les bombardements et la proximité des islamistes inquiètent particulièrement la population, note Nergiz Afrin. Les gens connaissent très bien les pratiques de ces djihadistes. Les habitants sont sûrs que s’ils entrent dans la ville ils seront massacrés, violés et égorgés. Cette peur qui ne cesse de monter parmi les civils est terrible. »
Depuis hier, le danger est encore plus pressant. Il est aux portes. Mercredi matin, le président turc, Recep Erdogan, lançait, matamore : « J’espère, si Dieu le veut, qu’Afrin sera complètement tombée d’ici ce soir. » La résistance populaire l’a forcé à revenir sur ses propos, parlant, par la suite d’Afrin « totalement encerclée ». Redur Khalil, un porte-parole des YPG (unités combattantes kurdes), avait immédiatement réagi après la première déclaration du chef de l’État turc : « Il semble que le président (…) Erdogan rêve éveillé en parlant d’une chute d’Afrin ce (mercredi) soir. » La seule route encore ouverte est néanmoins sous le feu turc et tout convoi, civil ou militaire, qui tente de l’emprunter devient une cible.
Des convois de solidarité sont parvenus jusqu’à Afrin ces derniers jours, emmenant des centaines de personnes de Cizre (Turquie) ou de Kobané, plus à l’est. Une délégation de représentants politiques et religieux est arrivée du Kurdistan d’Irak. Pourtant, les habitants se sentent trahis, lâchés par une communauté internationale qui avait pourtant applaudi devant leur courage et leur victoire face à Daech, en janvier 2015, à Kobané. La France parle un peu mais n’agit toujours pas. Alors que les massacres se poursuivent à Afrin, l’Union européenne annonce une deuxième enveloppe financière de 3 milliards d’euros pour aider la Turquie à accueillir les réfugiés syriens sur son sol ! Quant au ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, il plastronne une fois avec les représentants de la Russie, une fois avec ceux des États-Unis, certain de son impunité. Pis, mardi, il a annoncé que les chefs de la diplomatie turque et américaine allaient se rencontrer le 19 mars, à Washington, pour étudier l’évacuation des combattants kurdes de Manbij – où stationnent les troupes américaines. Pour les Kurdes, la trahison est totale, dans le silence fracassant du monde, trop occupé par la Ghouta orientale.

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