Hier, la CGT dénombrait une dizaine de barrages sur les 374 kilomètres carrés qui composent Mayotte.
Alors
que 84 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté, et à la
veille d’une nouvelle mobilisation d’ampleur, la ministre des Outre-mer,
Annick Girardin, s’est contentée hier d’annoncer des mesurettes
sécuritaires et de lutte contre l’immigration.
À
Mayotte, on les appelle les chats sauvages. Ce sont 3 000 enfants et
adolescents abandonnés à leur sort et à une « une délinquance de
survie ». Ce sont eux qui sont aujourd’hui montrés du doigt et désignés
comme les principaux responsables de l’insécurité qui règne à Mayotte, à
l’origine de la grève générale lancée le 20 février, et contre laquelle
la population est appelée ce matin à descendre massivement dans les
rues. « Ce ne sont pas des mineurs isolés mais bien abandonnés »,
explique Salim Nahouda, le secrétaire général de la CGT Mayotte. « Ces
mômes, ils cherchent à survivre, rappelle le syndicaliste, mais on ne
peut pas les laisser faire la loi, car la situation est intenable. Les
bandes armées menacent à chaque coin de rue. Mayotte est devenue une
zone de non-droit. Il est temps que le gouvernement prenne les choses au
sérieux. » « La République n’abandonne pas Mayotte, n’abandonnez pas la
République », avait osé dimanche le porte-parole du gouvernement,
Benjamin Griveaux, appelant les élus à assurer la rentrée des classes
comme préalable à toute négociation avant l’arrivée de la ministre des
Outre-mer, hier. Non seulement la rentrée n’a pas eu lieu, mais les
barrages se sont démultipliés, assure le responsable de la CGT, qui en
dénombre une dizaine sur les 374 km2 qui composent Mayotte.
Une île ravagée par la pauvreté et désertée par les services publics
Quant à « la République qui n’abandonne pas Mayotte », les
Mahorais n’en voient pas beaucoup la couleur. Devenue le dernier
département français par référendum en 2011, Mayotte est loin de
bénéficier des mêmes droits que le reste du territoire, ravagée par la
pauvreté et désertée par les services publics. « Mayotte est de loin le
département le plus pauvre et le plus inégalitaire de France, rappelle
le sociologue Nicolas Roinsard, maître de conférences à l’université
Clermont-Auvergne. 84 % de la population vivent en dessous du seuil de
pauvreté. Alors que 60 % des habitants ont moins de 25 ans, les
politiques sociales envers la jeunesse sont quasi inexistantes, dans un
contexte où le taux de chômage avoisine les 40 %. Chaque année, ils sont
près de 4 000 à sortir du système scolaire pour seulement 2 000 offres
d’emploi recensées par Pôle emploi. La mission locale de Mayotte compte
un conseiller pour 600 jeunes, contre 150 dans l’Hexagone. Une fois
sortis du système scolaire, et bien avant pour les mineurs isolés, les
jeunes sont rapidement confrontés à des enjeux de survie économique.
Dans ces conditions, l’enfance en danger devient une enfance
dangereuse. » Pour le chercheur, « il n’y a pas de secret : l’insécurité
sociale crée de l’insécurité civile ». Et celle-ci est loin d’être le
seul fait des Comoriens, assure Nicolas Roinsard : les statistiques de
la préfecture et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
démontrent que cette délinquance juvénile touche aussi les Mahorais,
contrairement à ce que laisse entendre le mouvement actuel. « Il règne
un climat de guerre civile », s’inquiète de son côté Éric Decombe,
fonctionnaire territorial et militant de la CFDT, qui vit à M’tsapéré,
dans la banlieue de Mamoudzou. « En bas de chez moi, les Mahorais
survivent dans des conditions inhumaines. Ce sont des favelas sans eau
potable ni toilettes. La situation va mal tourner si le gouvernement
continue de diviser les Mahorais et de ne pas répondre aux urgences
sociales. »
C’est dire si la ministre des Outre-mer, Annick Girardin,
était hier attendue au tournant. Fraîchement accueillie, elle s’est pour
le moment contentée d’annoncer un renforcement de la sécurité dérisoire
(l’arrivée de 20 gendarmes et 10 policiers supplémentaires…) et de la
lutte contre l’immigration clandestine. Cette grève générale contre
l’insécurité relance pourtant le débat sur la départementalisation et en
dessine un premier bilan. C’est l’analyse qu’en font de nombreux
Comoriens, à l’instar de l’écrivain Mohamed Nabhane, très engagé dans le
Collectif de soutien aux délogés de Mayotte. En effet, en 2016, plus
d’un millier de Comoriens avaient été « décasés » par des bandes
violentes et xénophobes. Leurs maisons détruites et pillées, ils ont été
réduits à vivre dans la rue. « Les Comoriens non mahorais sont devenus
les boucs émissaires de prédilection d’extrémistes mahorais qui se
veulent plus français que les Français de France, alerte l’écrivain. Des
bandes organisées, opérant une sorte de “nettoyage” du paysage, font
justice elles-mêmes. » Pourtant, il n’y aura pas de progrès social à
Mayotte sans codéveloppement avec l’Union des Comores
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