Le texte, pourtant consensuel, a été bloqué au dernier moment par un amendement du gouvernement, à la grande colère des élus de gauche.
Le texte, qui devait être examiné mercredi soir, faisait
pourtant l’unanimité, depuis les communistes qui le portaient jusqu'à la
droite, majoritaire au Sénat. Déjà voté en 2016 à l’Assemblée – sous la
précédente législature –, il avait été voté par tous les groupes en
commission. Le passage dans l’hémicycle apparaissait donc comme une
formalité. Il s’agissait de porter le montant de retraite de 75% à 85%
du Smic net pour une carrière complète de chef d’exploitation (soit un
gain de 116 euros par mois).Sauf que mercredi, le gouvernement a déposé un amendement repoussant l’application de la mesure à 2020. «L’amélioration
des petites pensions agricoles ne peut être envisagée indépendamment
des autres évolutions qui affectent notre système de retraites», est-il justifié, ce qui renvoie la discussion à la future réforme des retraites :
«Les débats devront tenir compte de la situation de tous les assurés
quelle que soit la nature de leur activité professionnelle. C’est
pourquoi cette question ne peut être tranchée dans le calendrier qui
figure dans cette proposition de loi.» Mais le gouvernement ne
s’arrête pas là : dans la foulée, celui-ci sort de sa botte
l’article 44.3 de la Constitution qui déclenche une procédure dite du
«vote bloqué». Le 44.3 c’est un peu, pour le Sénat, l’équivalent du 49.3
à l’Assemblée. Un «super-pouvoir» donné au gouvernement qui oblige les
parlementaires à se prononcer par un seul vote sur le texte en ne
retenant que les amendements du gouvernement. C’est comme si
l’amendement qui revient à enterrer la proposition de loi était fondu
dans le texte, impossible de le dissocier. En clair, soit le Sénat vote
pour le texte et le rend du même coup inapplicable, soit il vote contre…
Face, je gagne. Pile, tu perds. Voilà le texte reparti pour une
nouvelle navette parlementaire et donc renvoyé aux calendes grecques.
Formules assassines
La méthode a évidemment soulevé un tollé. Sur le fond, les sénateurs ont rappelé que la pension moyenne des retraités agricoles «demeure inférieure au seuil de pauvreté et au minimum vieillesse» et ironisé sur le «courage» du gouvernement qui rejette la revalorisation trois jours après la fin du Salon de l’agriculture. Sur la forme, les formules assassines ont fusé : «coup de force inédit et d’une rare violence» pour Eliane Assassi (PCF), «artillerie lourde, méthode brutale» (René-Paul Savary), «pillonnage du Parlement» (pour le groupe socialiste), «déni de démocratie», etc.La ministre de la Santé et celui des Relations avec le Parlement ont été vivement hués : Agnès Buzyn a invoqué le problème de calendrier «au regard du débat qui va s’engager sur la réforme de nos régimes de retraites» et Christophe Castaner a souligné l’impact financier de la mesure: «le gouvernement vous propose une application réaliste, au 1er janvier 2020. Ce n’est pas un soir de mars qu’on peut trouver 400 millions d’euros», a-t-il tenté, défendant au passage la procédure du vote bloqué : «La Constitution française, quand elle s’applique, n’est pas une dictature.»
Mais alors que le Premier ministre reçoit, ces jours-ci, les huiles parlementaires de tous bords pour faire l’article de la future révision constitutionnelle censée renforcer le pouvoir du Parlement, le message qui vient de leur être adressé, ne manque pas de sel. Et le pataquès de mercredi risque de braquer un peu plus la droite sénatoriale, qui freine déjà des quatre fers sur une réforme de la Constitution. C’est ce que n’a pas manqué de relever le président de la commission des Lois, Philippe Bas (Les Républicains) : «C’est mal augurer de l’avenir de nos discussions sur le travail législatif que de procéder par l’utilisation de moyens qui exercent sur le Parlement un rapport de forces inadmissible», a-t-il averti plus tôt dans la journée, passant un savon au secrétaire d’Etat Olivier Dussopt, qui se trouvait alors au banc du gouvernement. Pour Philippe Bas, si le vote bloqué est constitutionnel, le gouvernement l’utilise habituellement pour faire aboutir une discussion sur l’un de ses propres projets de loi et non pour saborder «un texte d’initiative parlementaire». «Il y a le droit et l’abus de droit lors que l’on sort de la Constitution», a-t-il dénoncé.
Les sénateurs communistes ont finalement reporté l’examen au 16 mai, lors de leur prochaine «niche parlementaire», espérant «convaincre le gouvernement du bien-fondé du texte» d’ici cette nouvelle fenêtre.
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