L’année
dernière, les actionnaires ont été à la fête : ils ont touché plus de
1 000 milliards d’euros. Jamais les multinationales ne leur avaient
reversé autant d’argent, particulièrement dans le secteur de la finance.
Les
distributions de dividendes dans le monde ont explosé de 7,7 % en un
an. C’est historique, selon le cabinet de gestion d’actifs Janus
Henderson, qui scrute trimestriellement les 1 200 plus grosses
entreprises au monde. Celles-ci versent à elles seules 90 % du total des
dividendes. Le cabinet publie chaque année un genre d’indice du bonheur
des actionnaires, le JHGDI (indice Janus Henderson des dividendes
mondiaux). Et il n’a jamais été aussi haut, à 171,2. « Ce qui signifie
que les dividendes ont augmenté de quasiment trois quarts depuis 2009 »,
se réjouit Janus Henderson dans sa dernière édition parue en février.
Pas moins de 11 pays, parmi les plus grosses économies
mondiales, ont battu leurs records historiques de distribution. « Ce qui
est frappant dans cette étude, c’est le caractère assez global de la
hausse des dividendes, souligne justement l’économiste Dominique Plihon,
membre du conseil scientifique d’Attac. On est bien dans un capitalisme
financiarisé mondialisé, dominé par le rôle de plus en plus central
accordé à l’actionnaire. »
Un court-termisme dangereux
Si les distributions de dividendes augmentent globalement
partout, cela ne s’effectue pas au même rythme. En Asie, elles ont bondi
de 18,8 % en un an – tirées par les plateformes financières comme Hong
Kong, Taïwan ou Singapour –, de près de 7 % aux États-Unis et d’à peine 2
% en Europe. 1 027 milliards d’euros ont été distribués en 2017 aux
actionnaires, l’équivalent du PIB de la Russie ou de l’Espagne… « Cela
reflète bien le regain de confiance des entreprises. Elles pensent
pouvoir distribuer massivement des dividendes, avoir de bonnes
perspectives, analyse Dominique Plihon. Cette confiance est renforcée
par le contexte politique, très favorable à la finance, avec Trump aux
États-Unis et sa réforme fiscale, mais aussi l’effet Macron en France. »
Et la tendance à la distribution massive de dividendes
n’est pas près de freiner, comme le montre la projection du cabinet
Janus Henderson pour 2018, à 1 105 milliards d’euros. Tant que la
rechute économique ne pointe pas le bout de son nez… « Cette étude me
rend assez peu optimiste, poursuit Dominique Plihon. On n’a pas retrouvé
les niveaux d’activité d’avant la crise et, pourtant, les marchés
financiers s’envolent et les distributions de dividendes battent des
records. Cette euphorie est inquiétante, alors que l’économie reste
particulièrement fragile. » L’universitaire, membre du collectif des
Économistes atterrés, dénonce ainsi le court-termisme dangereux des
entreprises, qui gavent leurs actionnaires plutôt que d’investir dans
leur outil productif ou dans la transition énergétique.
La France parmi les plus prodigues
Tous les secteurs économiques ne sont pas non plus
également prodigues en dividendes. L’industrie traditionnelle comme le
secteur de l’alimentation restent stables, tandis que la finance
(banques, assurances…) rémunère grassement ses actionnaires. « Le fait
que le secteur financier distribue le plus de dividendes est totalement à
l’image de notre capitalisme actuel, explique Dominique Plihon. Et la
France est le pays européen qui en distribue le plus (42,7 milliards
d’euros), bien davantage que l’Allemagne (31,2 milliards d’euros). Ce
qui est symptomatique du fait que nous avons une économie plus
financiarisée, avec de très grandes banques notamment. »
Les montants spectaculaires de dividendes versés au
Royaume-Uni et en Suisse, grandes plateformes financières mondiales,
renforcent le constat de l’économiste. Les secteurs énergétiques se
révèlent également très rémunérateurs pour leurs actionnaires, de même
que l’industrie pharmaceutique et les nouvelles technologies. Ainsi,
sans surprise, les multinationales qui ont le plus versé de dividendes
en 2017 sont Royal Dutch Shell, China Mobile, Exxon, Apple, Microsoft,
HSBC… « Il me semble important de mettre en relation ces distributions
spectaculaires de dividendes en 2017 avec la croissance des inégalités
dans le monde, insiste Dominique Plihon. Les études d’Oxfam le montrent
très bien, l’année dernière, il y a eu un net creusement des
inégalités. Et une augmentation du nombre de milliardaires la plus
importante de l’histoire contemporaine grâce aux revenus financiers,
alors que 90 % de la population n’en bénéficient pas. »
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