lundi 29 avril 2024

Paris 2024 : à qui profitent les jeux Olympiques ?

À moins de cent jours des JOP de Paris 2024, l’intérêt de l’organisation d’un tel événement se pose. Sujette à la controverse, cette édition sur le sol français invite à la réflexion sur la place et le rôle du sport dans notre société.

L’organisation de l’événement suscite logiquement doutes et controverses, mais tout n’est pourtant pas à jeter avec l’eau du bain olympique.

Stéphane Floccari

Agrégé et docteur en philosophie et professeur à l’Insep

Ainsi posée, la question ressemble à une mise en accusation, sur le mode : « À qui profite le crime ? » Ce sens de la question ne peut être ignoré. Il y a un cahier des charges olympique et il a son côté obscur. À chaque édition de cette compétition qui, avec la Coupe du monde de football et le Tour de France, constitue l’un des trois spectacles sportifs de masse universels, ce cahier est rouvert. Il est compréhensible que l’organisation de l’événement suscite doutes et controverses.

Le coût financier exorbitant d’infrastructures produites ad hoc a de quoi inquiéter et même effrayer. Surtout quand on sait que certaines d’entre elles, aux dimensions pharaoniques, ne seront jamais réutilisées ni rentabilisées. Tout ceci ne pousse pas à mettre la main au portefeuille sans quelques craintes légitimes. Et que penser de la facture écologique présentée à des générations futures qui croulent déjà sous les impayés environnementaux ?

À ce tableau, il faut ajouter tous les dommages collatéraux : les gens en situation de grande précarité déplacés à la hâte et sans solution de rechange durable, le prix des terrains qui s’envole et l’explosion du prix des transports en commun. L’arbre olympique cache la forêt de la désespérance sociale de pays entiers qui choisissent malgré tout de le planter dans leur terre nationale. Et on voit mal comment, pour fêter le centenaire de sa précédente organisation de la compétition réactivée par le fameux (et très misogyne) baron Pierre de Coubertin, la « start-up nation » France pourrait faire exception à la règle.

Les alibis politiques restent les mêmes : faire tourner l’économie, dynamiser le bâtiment et les services, donner l’occasion de rayonner à un pays qui en a toujours besoin et qui le mérite tant. L’antienne est bien connue. Nonobstant ces motifs d’inquiétude légitimes dans un pays où l’on n’écoute plus vraiment ceux qui souffrent et où l’on tend de plus en plus naïvement les micros à ceux qui ne proposent que des « solutions », ajoutant de la stigmatisation à la détresse et de la haine aux fractures sociales, tout n’est pas à jeter avec l’eau du bain olympique.

Des percées sont possibles. D’abord sportives : c’est l’occasion pour nos champions de montrer l’étendue et la diversité de leurs talents affûtés par un travail herculéen dans des conditions pas toujours reluisantes, car si des efforts de moyens sont consentis, ils sont encore répartis de façon trop inégalitaire entre les fédérations sportives. Ensuite sociales et humaines : pour peu que l’or brille, que l’argent coule à flots et que le bronze sculpte de grands destins, les Français trouveront des motifs de sourire dans un océan d’angoisses.

Enfin, on peut imaginer qu’une réflexion sur la beauté et la force éducative du sport s’ouvrira pour faire de la France, non pas une vitrine médiatique de la performance à tout-va, mais un atelier pédagogique du pouvoir d’émulation et de transformation de l’homme par l’homme qui a pour nom générique : « sport(s) ».

Vaste campagne de communication, la parenthèse enchantée des Jeux doit inviter les forces progressistes à plus de lucidité critique.

Jean-Marie Brohm

Sociologue et professeur émérite des universités

Les Jeux de Paris 2024 – supposés être « citoyens », « festifs », « écologiques », « financièrement maîtrisés », « sécurisés » – constituent une vaste campagne de propagande et de communication orchestrée par de puissants intérêts économiques, politiques et idéologiques associés aux enfumeurs professionnels de l’opinion publique.

En tête de gondole, le président Macron et tous les affidés du macronisme, qui fantasment sur une « nation sportive » hissée au top classement des médailles. Ensuite, les partis politiques y compris de gauche et les organisations syndicales « responsables » invités à participer à la grande « union sacrée » derrière « nos champions » idolâtrés.

Cette mobilisation générale revêt l’allure d’un endoctrinement national relayé par les radios, les télévisions, la presse, et entretenu par les organismes bancaires, les offices du tourisme, les agences publicitaires et les municipalités ayant acquitté un péage onéreux pour le passage de la flamme olympique.

Pilotée par le Cojop et les appareils idéologiques ou administratifs de l’État – le ministre de l’Intérieur, la ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, la ministre des Sports et des jeux Olympiques – cette « grande machinerie silencieuse » de l’olympisme, selon l’expression de Pierre de Coubertin, est sous la responsabilité directe de la multinationale financière affairiste du CIO et de ses hiérarques, le président allemand Thomas Bach en tête, de concert avec la meute de chasse des « partenaires » capitalistes mondiaux ou nationaux en quête de surprofits et de paradis fiscaux, le tout en accord avec la ribambelle opportuniste des gestionnaires de la région Île-de-France et de l’Hôtel de Ville. 

Dans la situation internationale liée à l’invasion criminelle de l’Ukraine par la soldatesque de Poutine et aux menaces du terrorisme islamiste, l’avenir dira si la militarisation estivale de l’espace public aura été capable de maintenir les rêves éveillés de la « trêve olympique », de la « paix olympique » et autres niaiseries de « l’idéal olympique ».

L’avenir dira aussi si le probable déficit financier de Paris 2024 mettra un terme aux illusions rassurantes du « ruissellement » destiné à occulter l’endettement colossal du pays, la crise aiguë du logement social, la précarisation des classes populaires et moyennes, l’état de plus en plus délabré des services publics et des transports en commun, la misère de l’hôpital public et des maisons de retraite, la politique néolibérale d’austérité qui se fait au détriment de l’Éducation nationale, de la recherche scientifique et médicale, et de la culture.

La diversion politique de la « parenthèse enchantée » des Jeux et le mimétisme grégaire de l’identification nationaliste aux champions – qui rappelle les modèles totalitaires soviétique, est-allemand et chinois – devraient dès lors inviter les forces progressistes à plus de lucidité critique.

 

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