Pour l’élu Paul Vannier, co-rapporteur de la mission d’information sur le financement public de l’école privée sous contrat, les trop nombreuses dérives – financières, pédagogiques, légales – pointées par le rapport montrent que de profonds changements sont devenus impératifs.
Cette mission d’information est-elle une « mission Stanislas », lancée après le scandale lié à cet établissement parisien huppé ?
Non. L’affaire Oudéa-Castéra a certes ouvert une fenêtre de débat, mais j’avais demandé cette mission dès juin 2023. Quarante ans après la mobilisation contre la loi Savary, j’avais le sentiment qu’on arrivait au bout d’un cycle, celui d’une omerta politique interdisant d’aborder la question de l’enseignement privé sans être accusé de vouloir raviver la « guerre scolaire ».
Or, les inégalités entre public et privé n’ont cessé depuis de s’aggraver, et l’école publique se trouve aujourd’hui au bord de l’effondrement. Député d’un mouvement politique qui aspire à gouverner, il me paraissait nécessaire de nous préparer à légiférer sur cet enjeu capital.
Au final, avez-vous réussi à savoir combien d’argent public finance l’école privée ?
Non. Ce que nous savons, c’est que ce financement – de l’État ou des collectivités territoriales – a beaucoup augmenté. Mais il est impossible de dire si ce sont 10, 11 ou 12 milliards d’euros qui sont versés chaque année au privé sous contrat.
Certains postes sont manifestement sous-estimés ou ignorés : les dépenses d’investissement des départements et des régions, certaines dépenses des communes, les niches fiscales auxquelles les dons aux établissements sous contrat ouvrent droit… Ces seuls dispositifs se chiffrent en centaines de millions d’euros au minimum.
Dans le rapport, il est écrit que les contrats d’association liant l’État et chaque établissement sont introuvables…
Cela montre que le système est devenu incontrôlable. Les contrats fondent le financement public. Or, dans 21 % des cas, ils ont tout bonnement disparu. Mais cela n’empêche pas l’argent de tomber ! Et quand le contrat est totalement piétiné – comme à Stanislas, ainsi que l’a établi l’enquête de l’inspection générale –, le financement n’est pas interrogé.
Quelles dérives vous semblent les plus graves ?
Déjà, c’est grave de distribuer de l’argent public sans contrôle. C’est grave que ce système de financement subventionne la ségrégation scolaire, qui atteint des niveaux inédits. Ce que montrent les travaux précédents de la Cour des comptes ou de la Depp (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance – NDLR), c’est un système où le public se retrouve en concurrence directe avec le privé. Un marché scolaire s’est institué sur fond d’école à deux vitesses : le privé pour les riches et une école publique en grande difficulté pour tous les autres.
Cela appelle une réaction très forte des pouvoirs publics. Enfin, il n’est pas normal que l’allocation des moyens soit organisée entre l’État et certains réseaux, en toute opacité et hors de tout cadre légal. Cela aboutit à un traitement inégal entre l’enseignement catholique, représenté par le Sgec (secrétariat général de l’enseignement catholique), qui pèse 96 % du privé sous contrat, et les « petits » réseaux juif, musulman, laïque, de langues régionales…
Ces derniers sont soumis à des exigences auxquelles échappent les établissements catholiques. Quant au dialogue de gestion privilégié entre l’État et le Sgec – dont le dirigeant est nommé par une autorité religieuse, la Conférence des évêques de France –, il est attentatoire à l’article 2 de la loi de 1905,qui prescrit que l’État ne reconnaît aucun culte.
Quelles solutions avancez-vous ?
Je propose un système de malus diminuant les financements versés aux établissements privés s’ils contribuent à la ségrégation sociale et scolaire. Autre outil : instaurer des contrats d’objectifs et de moyens avec chaque établissement privé, révisables tous les trois ou quatre ans, fixant des objectifs en matière de mixité, d’inclusion, de santé publique… L’argent public versé doit s’accompagner de contreparties effectives, comme cela se fait ailleurs en Europe.
Pensez-vous que de telles propositions puissent rassembler à gauche et au-delà ?
Même si, avec mon co-rapporteur Christophe Weissberg, nous formulons des propositions différentes, la moitié de celles-ci sont partagées. Je déposerai prochainement une proposition de loi qui en reprendra l’essentiel.
Certes, il n’y a probablement pas aujourd’hui de majorité politique pour changer les règles de financement du privé. Mais la nécessité de les faire évoluer est de plus en plus partagée. Même au-delà de la gauche, l’exigence de contrôle et de transparence peut prévaloir. Alors, ouvrons le débat !
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