La plateforme web « destinée à recueillir et gérer les vœux d’affectation des futurs étudiants de l’enseignement supérieur » est en réalité une sélection déguisée au profit de la création d’une élite.
Parcoursup a glané les premiers vœux des futurs étudiants en 2018. Et de plus en plus de futurs étudiants ont l’impression de « jouer leur vie » dans un jeu dont ils ne maîtrisent pas les règles. Pour Hugo Harari-Kermadec, professeur de sociologie à l’université, la transformation principale, induite par l’arrivée de Parcoursup dans la vie étudiantes, réside dans le fait « d’introduire l’idée de concurrence, de candidature au supérieur et de sélection, là où il n’en était pas question. Et d’ailleurs, dans les discours de la ministre de l’époque, Frédérique Vidal, ce n’était pas de la sélection ».
Six ans après, la réforme est devenue réalité et tout le monde a bien saisi qu’il est finalement question de sélections. Si bien que « certains élèves et leurs familles anticipent Parcoursup dès la fin du collège, témoigne Béatrice, professeure de littérature au lycée. Ils vont déjà réfléchir aux choix de spécialités, de lycée, des stages à réaliser pendant les vacances, qui dépendent du réseau des parents, des engagements souvent opportunistes dans des associations… La moitié des élèves qui s’engagent comme délégués ou au CVL le font pour leur dossier et non par conviction. »
« La nécessité de beaucoup s’informer en amont, de participer aux portes ouvertes pour bien connaître les critères de sélection, me paraît bien plus discriminante que la fameuse lettre de motivation », déplore Béatrice. Une lettre de motivation rédigée avec les plus grands soins par des jeunes soucieux d’avoir une affectation, mais souvent rendue caduque par le fonctionnement de la plateforme.
En raison d’une réinsertion, Alexandre, 20 ans, s’est de nouveau inscrit sur Parcoursup cette année. Selon lui, le fonctionnement de la plateforme n’est pas un facteur d’égalité républicaine puisqu’« on a parfois l’impression que l’acceptation des futurs bacheliers est inégale ». Il dénonce « un algorithme qui trie un peu les candidatures et va se focaliser sur la meilleure moyenne ou la meilleure appréciation plutôt que la lettre de motivation ou le profil de l’élève ».
Effets genrés et sociaux de la plateforme
Hugo Harari-Kermadec déplore des dérives discriminatoires de Parcoursup : « En plus de la ségrégation sociale qui est accélérée du point de vue purement social, il se passe la même chose, en fait, suivant tous les rapports sociaux ». Au niveau de la parité, on assiste à une « déformation plus féminine ou plus masculine qu’avant », estime-t-il. En suivant la logique de sélection, de concurrence, c’est le meilleur dossier qui sera sélectionné « et en classe moyenne populaire, il sera plutôt féminin et plutôt masculin lorsqu’on sera en discipline scientifique. Et la ségrégation sociale et genrée s’accélère avec un Parcoursup ».
Des effets que Yannick L’Horty, économiste et directeur de l’Observatoire des inégalités dans l’enseignement supérieur (ONDES) nuance : « Au moins, c’est une plateforme qui contribue à la transparence du système et qui permet à chacun, dans l’égalité, d’exprimer des vœux d’orientation ». Pour ce dernier, il y a néanmoins « beaucoup d’autres facteurs indépendamment de la plateforme qui vont contribuer à l’inégalité ». Il y a aussi l’inégalité des trajectoires, notamment la connaissance des formations elles-mêmes, des mécanismes d’autosélection des néobacheliers, ou autres mécanismes. Et bien sûr, la reproduction sociale qui se fait à l’école, au lycée, au collège, indépendamment de Parcoursup. « C’est d’abord un outil, voilà. Et c’est plutôt un outil performant, affirme Yannick L’Horty. La plateforme reproduit des inégalités plus qu’elle n’en produit. »
Mais pour Béatrice, ça reste « un tri qui ne se déguise pas. Il s’affirme tout au long de la procédure. Le problème n’est pas tant le tri que les critères de ce tri. L’équité est impossible : dès lors que l’on sait que ton très bon bulletin vient d’un lycée lambda, il est dévalorisé ». Hugo Harari-Kermadec ne voit « pas de raison majeure qui justifie de rester sur un système concurrentiel comme ça. À part l’idée qu’il y ait place pour tout le monde ». Il abonde : « On a quadruplé le nombre de places à l’université, pendant la seconde moitié du 20ème siècle. Pourquoi, d’un seul coup, ce n’était plus possible ? » En particulier à l’heure où l’enseignement supérieur et la recherche sont censés être des priorités. Le manque de place, « le cœur du problème » selon Béatrice, est à-demi dissimulé par la proposition d’établissements privés qui n’ont pourtant pas leur place sur la plateforme.
Quelle alternative à Parcoursup ?
« Ce qu’il faudrait faire, c’est revenir à un système d’instruction », suggère Hugo Harari-Kermadec. Et, en parallèle, donner les moyens suffisants afin que les étudiants puissent suivre leurs cursus dans de bonnes conditions à l’université et que personne ne se demande « où aller s’échapper pour éviter un système qui se dégrade ». Avant de chercher une alternative à Parcoursup, il faut résoudre le souci d’orientation des élèves, étranger à la plateforme. « Le premier problème, c’est celui de l’orientation », assure Yannick L’Horty. Parce qu’il y a toujours, malgré les efforts qui sont réalisés par les pouvoirs publics, des échecs en étant à l’université. Et ces échecs traduisent des défaillances dans les choix d’orientation.
« Ce qui me paraît problématique, outre le tri social, est de dessiner le profil d’un candidat par rapport à son dossier scolaire : que disent de bons bulletins sur un être humain ? Qu’il a bien accepté et respecté les règles. Qu’il est bien resté dans les clous. Que ses parents ont les sous pour payer des cours de maths. Qu’il a vécu deux années de lycée sereines sans drame familial, social, personnel. Qu’il ne tâtonne pas sur ses goûts et ses compétences et a donc bien choisi les spés qui lui conviennent », déplore Béatrice.
La plateforme rend difficile de classer objectivement les candidats et donc de les affecter de manière optimale. Et au vu des annonces de Gabriel Attal concernant ses desseins pour l’Éducation nationale, on ne peut que présager le pire.
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