mercredi 12 juin 2024

Derrière la dissolution, les calculs d’un président en perdition

Le président de la République, en organisant des élections législatives sur une période très courte, tente de prendre de vitesse le pays en agitant une fois de plus le spectre d’une extrême droite qu’il ne cesse de nourrir. Seule la gauche peut en réalité venir contrarier ses plans.

Emmanuel Macron donne parfois l’impression d’être un pilote de sous-marin qui se met d’un coup à appuyer sur tous les boutons à sa disposition uniquement parce qu’ils existent. Le sous-marin monte, descend, se cabre, tourne sur lui-même, et plus personne ne sait au final vers où il s’enfonce. Les eaux brunes inondent toujours plus vite le submersible, la gauche écope comme elle peut, et le président « disruptif » regarde son monde avec l’arrogance de celui qui semble persuadé d’avoir fait le bon choix.

Mais à quoi joue-t-il ? La convocation d’élections législatives juste après le score historique obtenu par l’extrême droite lors des européennes a tout d’une manœuvre de forcené. S’il ne faut jamais craindre un vote, la partie semble néanmoins pipée. Le président de la République aurait pu annoncer ces législatives pour septembre, en réunissant les conditions nécessaires à un débat démocratique digne de ce nom.

Mini-coup d’Etat légal ou coup de poker

À la place, il tente un coup de poker et essaie de prendre son monde de vitesse : la campagne va durer en tout et pour tout trois semaines, en comptant les deux tours de scrutin, dont le dernier se déroulera après le début des vacances scolaires.

De ce point de vue, la décision élyséenne a des airs de mini-coup d’État légal, non seulement parce qu’un homme seul décide de radier de leurs sièges les représentants de la nation, mais surtout parce qu’il organise ensuite leur réélection dans les pires conditions possible, ce qui laisse clairement apparaître ses mauvaises intentions et toute la duperie de sa démarche.

Reste une question : quels sont ses plans ? À moins de croire en sa bonne étoile de façon on ne peut plus déraisonnable, le chef de l’État a dû envisager plusieurs résultats ayant aiguisé son appétit. Scénario un : la gauche divisée aux européennes et marquée par l’éclatement de la Nupes continue de se déchirer et s’autoélimine massivement ; sur ses ruines, Emmanuel Macron récupère de quoi se bâtir une majorité absolue.

Dès lors, la plupart des seconds tours en circonscriptions se joueraient entre la Macronie et l’extrême droite, l’Élysée pariant une fois de plus sur la discipline d’électeurs hostiles au RN (qu’il ne cesse pourtant d’alimenter) pour l’emporter.

Au passage, le pouvoir espère attirer quelques députés LR, dans le cadre d’une possible coalition, et fracturer la gauche en promettant qu’il « ne présentera pas de candidats » contre des députés sortants faisant partie du « champ républicain ».

Pour le camp présidentiel, ni le RN, ni la FI ne font partie du « champ républicain »

Une précision a été apportée à ce sujet, lundi matin : pour le camp présidentiel, ni le RN, ni la FI ne font partie de ce « champ ». Un parallélisme scandaleux, qui n’a qu’un but : affaiblir et cliver la gauche. Dans ce scénario, Emmanuel Macron pense qu’il pourrait reprendre les pleins pouvoirs, quitte à renforcer considérablement le parti de Marine Le Pen, qu’il juge encore incapable de passer de 88 à 289 députés, synonymes de majorité parlementaire.

Mais le président a forcément envisagé une autre issue. Comment pourrait-il ne pas avoir conscience du risque de victoire de l’extrême droite ? C’est donc qu’il l’assume. Qu’il envisage une cohabitation avec elle. Et qu’il s’imagine déjà capable de s’en sortir dans un mano a mano avec Jordan Bardella, qui s’épuiserait selon lui à Matignon.

Dans les deux scénarios, Emmanuel Macron joue encore et toujours plus avec le feu, et continue de nourrir comme jamais l’extrême droite. Il avait assuré que, grâce à son action, il n’y aurait plus « aucune raison de voter pour les extrêmes ».

Il a pour le moment lamentablement échoué, en plus d’installer chaque jour davantage le RN comme principal opposant, faisant courir un risque inouï pour la République. Reste un scénario que le président n’a peut-être pas voulu retenir dans sa réflexion : celui d’une victoire de la gauche, ressoudée, offensive, concentrée sur l’essentiel, consciente qu’elle peut conquérir de grandes avancées économiques, écologiques et sociales quand elle est au pouvoir, même sur un temps court.

Voilà en réalité le véritable danger pour Emmanuel Macron. Voilà ce qui viendrait saper son héritage, que le RN n’entend pas remettre en question. Voilà ce qui constituerait une authentique alternative politique. Voilà ce qui permettrait de faire remonter le sous-marin à la surface. Encore faut-il que la gauche s’unisse, et qu’elle soit en capacité de convaincre.

 

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