En le voyant fendre la foule et sa mer de sièges rouges en deux, tourner sur lui-même pour enchaîner les checks de militants énamourés, et lever le poing très haut une fois arrivé sur scène, on ne peut penser qu’à ça : Raphaël Glucksmann pense déjà avoir gagné. Qui le lui reprocherait ? Alors que personne ne l’avait vu venir, lui l’homme des 6,19 % en 2019, voilà la tête de liste du Parti socialiste et du mouvement Place publique en troisième position dans les sondages. En tête des forces de gauche, prêt à devancer Valérie Hayer, candidate de la macronie, et à « déjouer les plans des grands stratèges de l’Élysée : cette éternelle réédition du même match, ce face-à-face entre la droite et l’extrême droite ».
Fin de l’histoire ? C’est oublier que l’appétit vient en mangeant. L’euphorie passée, le candidat retrouve à la tribune toute sa gravité pour s’adresser aux près de 3 000 personnes présentes au Zénith de Paris. Déterminé à tout croquer, encore, à droite comme à gauche. « Il nous reste 10 jours, s’époumone-t-il. Vous êtes prêts à être la grande et belle surprise de ces élections ? »
Une « social-démocratie débarrassée de ses compromissions »
Pour grappiller encore quelques points, l’eurodéputé a pu compter sur des soutiens offensifs en introduction. À chacun sa cible. Pour Anne Hidalgo, la maire de Paris, la charge de s’en prendre au camp insoumis, citation de Jean Jaurès à l’appui : « L’idéal socialiste n’a besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux. Elle n’a besoin ni qu’on diminue ou rabaisse injustement les adversaires ni qu’on mutile les faits ».
À Aurore Lalucq, la tâche de dénoncer Renaissance et le camp présidentiel. « Oui, il y a chez eux des éléments pro-européens, mais ils sont à géométrie variable, déplore-t-elle. Dès qu’il s’agit d’obtenir des progrès sociaux, sociétaux, ou dans la réglementation économique, ils ne sont plus là ». Et, enfin, au tour d’Olivier Faure, premier secrétaire du PS, de défier le Rassemblement national : « À nous de porter la grande confrontation avec l’extrême droite, clame-t-il. Pas dans trois ans, maintenant. Ils portent le projet de pervertir l’Europe, ils entendent la corrompre de l’intérieur pour en modifier la raison d’être. Ce qu’ils défendent, c’est une Europe blanche et chrétienne, la volonté d’entrer dans une guerre de civilisation ».
La mission de Raphaël Glucksmann, quelques minutes plus tard, est de porter un projet plutôt qu’une cible : « L’émergence d’une grande puissance écologique européenne ». Du moins en apparence, car ce but dissimule mal son entreprise : s’attaquer au réservoir d’électeurs de Marie Toussaint, candidate des Écologistes, qui frôle déjà dangereusement la barre des 5 % dans les sondages… « De cette rencontre entre puissance et écologie naîtra l’offre politique qui dominera les décennies à venir et sera la seule offre politique cohérente face au repli nationaliste et à la tentation de l’abîme autoritaire », juge-t-il.
Pour convaincre les écologistes hésitants, l’eurodéputé donne tout : citations de Bruno Latour, philosophe de l’écologie politique, appel à « entendre ce que nous disent les scientifiques », plan de réindustrialisation verte, ode à la sobriété, et esquisse de ce qu’il imagine voir devenir « l’acte 2 » du Pacte vert, à savoir une « phase de la planification, de l’investissement, de l’accompagnement, et de la protection ».
Tout en rejetant « ceux qui se prennent pour Jupiter ou Robespierre », la tête de liste socialiste a dans la foulée lancé un « appel solennel » à « tous les démocrates intègres et sincères de ce pays ». « Si vous partagez nos principes fondamentaux, si vous avez en commun avec nous l’inlassable quête de justice qui doit animer la République, si vous partagez avec nous la conscience écologique et l’amour de l’Europe (…), venez amplifier notre dynamique, déclame-t-il. Nous travaillons à quelque chose de neuf, à l’émergence d’une social-démocratie rénovée, débarrassée de ses compromissions, qui épouse l’écologie politique et se refonde en l’épousant. » Reste à savoir si cet élan peut encore prendre de l’épaisseur. Ou bien se dégonfler.
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