Tête et verbe hauts, les salariés Doux de Graincourt sont dignes,
fiers. Ils sont aussi brisés. Physiquement depuis des années, moralement
depuis trois mois. Leur usine du Pas-de-Calais ferme définitivement
lundi 10 septembre. Les 254 ouvriers du site attendent désormais leur
lettre de licenciement. Le dernier repreneur potentiel, un groupe
ukrainien, a jeté l'éponge en début de semaine, notamment en raison de
la vétusté de l'abattoir qui traitait 25.000 poulets par jour. Cette
vétusté n'a rien arrangé aux conditions de travail qui, année après
année, ont peu à peu cassé des personnes.
Finies les pressions des petits chefs, finie la peur d'être viré, les
Graincourt n'ont plus rien à perdre et aujourd'hui ils parlent. Les
tendinites à la main après des années de couteau, les dos cassés après
les tonnes manœuvrées. "J'ai mal à la main. J'ai du mal à la bouger. On
nous a bousillés", raconte Hélène Guéant, ouvrière et déléguée du
personnel à Graincourt. A 48 ans, sans formation et avec cette main
malade, la mère de famille se demande où elle va bien pouvoir trouver un
nouveau boulot.
Ne pas se plaindre pour finir de payer la maison
Dans l'abattoir de Graincourt, en été, la température peut monter
jusqu'à 50°. Cette année, le directeur de l'usine n'a même pas eu les
moyens d'acheter des bouteilles d'eau. Et pas question de baisser la
cadence : ceux qui osaient quitter leur poste pour aller boire au
robinet se sont faits remonter les bretelles.
Côté découpe, il fait 4°c toute l'année. Les machines se déglinguent
mais les réparateurs refusent de se déplacer : Doux leur devait déjà
trop d'argent. Là aussi, au couteau ou à la barquette, le même geste
répétitif à longueur de journée, de semaine, d'année. Aux poignets, aux
coudes, aux épaules, les nerfs esquintés. Tous les jours, Hélène s'est
levée à 3h30 le matin pour rejoindre son poste. Elle ne s'est jamais
plainte de ses difficultés, de ses douleurs : il lui reste quatre ans
pour finir de payer la maison.
20 tonnes portées par jour pour 1.186 euros par mois
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