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Emprunt, crédit, créanciers, débiteurs, déficits, remboursement, taux
d’endettement, « pacte budgétaire » La dette est partout, elle a envahi
nos vies. Or la dette n’est pas seulement économique, elle est avant
tout une construction politique. Elle n’est pas une conséquence
malheureuse de la crise : elle est au cœur du projet néolibéral et
permet de renforcer le contrôle des individus et des sociétés. « Le remboursement de la dette, c’est une appropriation du temps. Et le temps, c’est la vie », nous explique le sociologue et philosophe Maurizio Lazzarato (La Fabrique de l’homme endetté). Entretien.
Basta ! : Vous dites que l’Homo debitor est la nouvelle figure de l’Homo economicus. Quelles sont les caractéristiques de ce « nouvel homme » ?
Maurizio Lazzarato : De nombreux services sociaux,
comme la formation ou la santé, ont été transformés en assurance
individuelle ou en crédit. Le mode de développement néolibéral est fondé
sur le crédit et l’endettement. Cette situation s’est aggravée avec la
crise des subprimes de 2007. Un exemple ? La formation aux États-Unis :
la Réserve fédérale (Banque centrale) a récemment évalué que le montant
total de prêts aux étudiants était de 1 000 milliards de dollars [1] !
C’est un chiffre astronomique. Pour avoir accès aux services, à la
formation, vous devez tout payer par vous-même. Vous devenez débiteur.
Entrepreneur de votre vie, de votre « capital humain ».
Le droit à la formation ou au logement s’est transformé en droit au crédit…
C’est une logique qui ne fonctionne que si l’économie est en
expansion. Or la dette privée a été transférée aux États, lorsque
ceux-ci ont sauvé les banques notamment, ce qui fait augmenter la dette
souveraine. Et nous sommes devenus tous endettés. Cela ne peut pas
continuer à l’infini ! Chaque bébé français naît aujourd’hui avec 22 000
euros de dette… À l’époque de l’expansion du capitalisme néolibéral, le
crédit permettait de réaliser des projets économiques, des projets de
vie, c’était une ouverture du temps et des projets. La logique s’est
inversée. Aujourd’hui, notre seule perspective pour quelques années,
c’est de rembourser ! La dette est produite et fabriquée par les banques
privées, et c’est la population dans son ensemble qui doit rembourser.
En Espagne, en Italie, en Grèce, les politiques d’austérité vont
approfondir cette privatisation des services et la logique libérale
d’endettement.
En quoi cela fonde-t-il un nouveau rapport social, et un nouveau rapport au temps ?
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