Le gouvernement contraint les bailleurs sociaux à se regrouper.
Présenté
ce matin en Conseil des ministres, le projet de loi logement fragilise
le statut du locataire et prône une réorganisation aussi profonde que
risquée du secteur des HLM.
De
loin, ça ressemble à un catalogue à la Prévert. De près, « c’est une
loi d’inspiration très libérale qui fragilise le logement social et
précarise le locataire », résume Ian Brossat, adjoint PCF à la Mairie de
Paris en charge du logement. Présenté ce matin en Conseil des
ministres, le projet de loi ELAN - Evolution du Logement de l'Aménagement et du Numérique
parachève la réorganisation du monde HLM que le gouvernement avait
entamée, cet automne, en obligeant les bailleurs sociaux à baisser les
montants des loyers pour compenser le coup de rabot sur les aides
personnalisées au logement (APL). Décryptage des principales mesures de
ce texte aussi technique que dangereux.
1.- Le logement social déstructuré
Il y a trop de bailleurs sociaux. Le président Macron l’a
dit en octobre devant les professionnels du bâtiment : « J’ai deux
problèmes avec les HLM. Il y a trop d’organismes, près de 800, et il
faut opérer un regroupement en deux à trois ans. Ensuite, il n’y a pas
de bonne circulation du capital. » L’idée est donc de les contraindre à
se regrouper pour créer des entités aux seins desquelles il y aurait une
meilleure circulation des fonds et où des économies d’échelle
pourraient se faire. Tous les organismes de moins de 15 000 logements
sont concernés et ont trois ans pour s’exécuter. Ces nouvelles
structures pourront prendre la forme de société, soit HLM, soit du
secteur privé, mais aussi devenir des sociétés anonymes de coordination
(SAC), dans lesquelles chaque organisme HLM gardera son autonomie. Cette
modalité de regroupement se double de l’obligation faite aux offices
publics de l’habitat (OPH), traditionnellement liés aux municipalités,
de fusionner à l’échelle intercommunale – sauf dans les métropoles de
Lyon, Paris et Marseille. « Cette réforme va avec l’idée, défendue par
certains dans la majorité, de sortir les élus locaux de la gestion des
OPH, explique Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation
Abbé-Pierre, quitte à les priver d’un outil essentiel pour l’élaboration
des politiques publiques de l’habitat. »
Plus fragiles, car accueillant plus de bénéficiaires des
APL et donc plus touchés par les obligations de baisse de loyers, les
OPH risquent aussi de se faire absorber par des grands groupes qui
seront dirigés loin des territoires et selon des logiques
capitalistiques qui n’auront plus rien à voir avec celles élaborées par
les élus locaux. « Cette politique du logement centralisée répond, en
partie, à une vision nationale puisqu’il est plus facile de négocier
avec moins de groupes, mais la question de la gouvernance au niveau
territorial est un peu délaissée, analyse Anne-Katrin Le Doeuff,
directrice générale déléguée du cabinet de conseil sur l’habitat
Espacité. L’augmentation de la taille va pourtant aller avec une mise à
distance et il sera plus difficile pour les élus locaux de négocier,
surtout s’ils sont face à un acteur unique. » Concrètement, comment une
collectivité locale en zone rurale pourra monter un projet de
réhabilitation qui réponde aux besoins de ses administrés, si ça n’est
pas jugé intéressant par la direction d’un grand groupe HLM basé loin du
territoire ? Une perte de marge de manœuvre dans les zones peu
attractives qui risque d’accroître le fossé avec les métropoles
dynamiques.
2.- Vendre des HLM pour pallier le désengagement de l’État
C’est la recette miracle du gouvernement pour le secteur
HLM. L’objectif est de passer de 8 000 à 40 000 ventes de logements HLM
par an, soit 1 % du parc social. Il s’agit d’abord de « donner de la
valeur à ces logements sociaux pour pouvoir investir dans la
construction », selon le ministère de la Cohésion des territoires. En
d’autres termes, les organismes devront compenser grâce à ces ventes les
pertes de trésorerie occasionnées par la baisse des aides à la pierre
(réduites à 50 millions d’euros) et surtout l’obligation de baisser une
partie de leurs loyers. Selon les calculs, près de 2 milliards d’euros
pourraient ainsi être dégagés. Sauf que, même si des mesures ont été
prises pour faciliter les ventes, « l’objectif quantitatif ne semble pas
réaliste », souligne l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère
les organismes HLM.
Déjà adopté en 2007, ce type de dispositif n’avait abouti à
rien, notamment parce que le niveau de vie des ménages logés en HLM,
inférieur à la moyenne nationale, ne leur permet pas d’accéder à la
propriété. C’est encore plus vrai aujourd’hui, alors que les nouveaux
entrants dans le parc social sont plus pauvres que les anciens et que le
gouvernement a supprimé l’APL accession, qui permettait, bon an mal an,
à 50 000 ménages modestes d’accéder chaque année à la propriété.
Difficile à réaliser, cette accélération des ventes de HLM
va aussi faire sortir pas mal de logements du secteur social alors que
les besoins, avec près de 8 millions de demandeurs, restent énormes.
« Nous ne sommes pas à un niveau de satisfaction de la demande sociale
tel qu’on puisse renoncer à un objectif de construction ambitieux »,
estime Marianne Louis, secrétaire générale de l’USH. Pour faciliter ces
ventes et permettre aux organismes d’engranger les fonds rapidement, le
gouvernement s’est mis d’accord avec Action logement (ex-1 % logement)
pour créer une structure qui pourra acheter des logements sociaux en
blocs puis les revendre à la découpe. « Il y a un effet pervers
puisqu’on achètera des immeubles avec des locataires HLM dedans, mais,
pour les vendre, il faudra qu’ils soient vides. Il y aura donc des
incitations, voire des pressions, pour faire partir les gens », alerte
Manuel Domergue.
Le dilemme est aussi fort pour les organismes HLM. Ils
devront choisir entre tenter de vendre à des ménages locataires, au
risque de créer des copropriétés dégradées, ou vendre les plus beaux
appartements de leurs parcs à des ménages solvables, quitte à se priver
de leurs meilleures sources de revenus réguliers et à mettre à mal la
mixité sociale. Le principe de la vente de HLM va aussi être compliqué à
gérer pour les collectivités locales qui garantissent le financement du
logement social et y investissent de plus en plus pour compenser le
désengagement de l’État. « Si elles veulent continuer à produire du
logement social, les collectivités vont devoir y mettre de l’argent.
Mais en même temps le fruit de la vente ira aux organismes HLM »,
souligne Anne-Katrin Le Doeuff
3.- Un bail précaire pour les précaires…
Promesse du candidat Macron, le bail mobilité est une des
mesures phares de la loi Elan. D’une durée d’un à dix mois, il est
destiné à faciliter les mobilités liées au travail, mais aussi « à
remettre sur le marché des logements qui n’y sont pas », explique le
ministère de la Cohésion des territoires. Objet de nombreuses critiques,
le bail mobilité a été amendé. Moins large que dans sa version
initiale, il n’est pas renouvelable et s’adresse à un public défini par
la loi : personnes en formation professionnelle, en mission temporaire,
étudiants ou stagiaires. Des atténuations bienvenues mais insuffisantes
pour nombre d’observateurs. « Un bail précaire pour les précaires. C’est
la double peine pour ceux qui subissent déjà la précarité dans le monde
du travail et qui vont la subir dans celui du logement », résume Manuel
Domergue. Les baux mobilité vont aussi bénéficier de la garantie
Visale, qui permet à l’État d’assurer les propriétaires contre les
impayés et les dégradations. « Une garantie gratuite offerte à des
bailleurs qui précarisent leurs locataires, sans même leur imposer de
limiter leurs tarifs, peste Manuel Domergue. Il faudrait au contraire
soutenir les propriétaires qui s’engagent à offrir des conditions de
location stabilisantes et abordables. » En l’absence de contrôle, le
risque de généralisation du bail mobilité est aussi pointé du doigt. « À
Paris, souligne Ian Brossat, nous craignons une dynamique un peu
similaire à celle des Airbnb, avec un fort développement de ces baux
précaires au détriment de baux classiques. »
4.- Loyers : l’Encadrement reste expérimental
Le droit à l’expérimentation. C’est tout ce qu’a accordé
le gouvernement en matière d’encadrement des loyers. « Avec la loi Elan,
l’encadrement des loyers dans le secteur privé devient expérimental.
Alors qu’il devait être obligatoire dans 28 agglomérations, il ne sera
désormais mis en place que sur la base du volontariat, ce qui va limiter
ses zones d’application », se désole Eddie Jacquemart, président de la
Confédération générale du logement. Seule satisfaction, dans la foulée
d’une décision du Conseil d’État, saisi par le gouvernement après
l’annulation de l’encadrement des loyers à Lille et à Paris, le
gouvernement autorise les villes qui le souhaitent à relancer
l’expérimentation pour cinq ans. Pour cela, il supprime l’obligation,
jusque-là en vigueur, d’appliquer l’encadrement sur l’ensemble d’une
agglomération donnée. Pour justifier cette timidité, l’exécutif estime
que l’expérimentation parisienne était trop courte pour permettre de
bien évaluer l’impact de l’encadrement. Moins prudentes, les agences
immobilières, elles, ont déjà appréhendé les conséquences de la mesure.
Dans un communiqué, hier, le réseau Century 21 se félicitait :
« L’annulation de l’encadrement des loyers a eu pour effet immédiat le
retour des investisseurs. » Et une augmentation des prix à l’achat de
5,7 % en un an. Le tout, évidemment, au détriment des couches
populaires. Selon l’aveu même de Century 21, après les employés et les
ouvriers, « c’est au tour des cadres moyens d’être expulsés de la
capitale »…
En lien
- Projet de loi Elan expliqué par la Caisse des Dépôts
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