jeudi 5 avril 2018

Logement. Les ménages populaires oubliés de la loi Elan

Le gouvernement contraint les bailleurs sociaux à se regrouper.
 
Présenté ce matin en Conseil des ministres, le projet de loi logement fragilise le statut du locataire et prône une réorganisation aussi profonde que risquée du secteur des HLM.
De loin, ça ressemble à un catalogue à la Prévert. De près, « c’est une loi d’inspiration très libérale qui fragilise le logement social et précarise le locataire », résume Ian Brossat, adjoint PCF à la Mairie de Paris en charge du logement. Présenté ce matin en Conseil des ministres, le projet de loi ELAN - Evolution du Logement de l'Aménagement et du Numérique parachève la réorganisation du monde HLM que le gouvernement avait entamée, cet automne, en obligeant les bailleurs sociaux à baisser les montants des loyers pour compenser le coup de rabot sur les aides personnalisées au logement (APL). Décryptage des principales mesures de ce texte aussi technique que dangereux.

1.- Le logement social déstructuré

Il y a trop de bailleurs sociaux. Le président Macron l’a dit en octobre devant les professionnels du bâtiment : « J’ai deux problèmes avec les HLM. Il y a trop d’organismes, près de 800, et il faut opérer un regroupement en deux à trois ans. Ensuite, il n’y a pas de bonne circulation du capital. » L’idée est donc de les contraindre à se regrouper pour créer des entités aux seins desquelles il y aurait une meilleure circulation des fonds et où des économies d’échelle pourraient se faire. Tous les organismes de moins de 15 000 logements sont concernés et ont trois ans pour s’exécuter. Ces nouvelles structures pourront prendre la forme de société, soit HLM, soit du secteur privé, mais aussi devenir des sociétés anonymes de coordination (SAC), dans lesquelles chaque organisme HLM gardera son autonomie. Cette modalité de regroupement se double de l’obligation faite aux offices publics de l’habitat (OPH), traditionnellement liés aux municipalités, de fusionner à l’échelle intercommunale – sauf dans les métropoles de Lyon, Paris et Marseille. « Cette réforme va avec l’idée, défendue par certains dans la majorité, de sortir les élus locaux de la gestion des OPH, explique Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre, quitte à les priver d’un outil essentiel pour l’élaboration des politiques publiques de l’habitat. »
Plus fragiles, car accueillant plus de bénéficiaires des APL et donc plus touchés par les obligations de baisse de loyers, les OPH risquent aussi de se faire absorber par des grands groupes qui seront dirigés loin des territoires et selon des logiques capitalistiques qui n’auront plus rien à voir avec celles élaborées par les élus locaux. « Cette politique du logement centralisée répond, en partie, à une vision nationale puisqu’il est plus facile de négocier avec moins de groupes, mais la question de la gouvernance au niveau territorial est un peu délaissée, analyse Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée du cabinet de conseil sur l’habitat Espacité. L’augmentation de la taille va pourtant aller avec une mise à distance et il sera plus difficile pour les élus locaux de négocier, surtout s’ils sont face à un acteur unique. » Concrètement, comment une collectivité locale en zone rurale pourra monter un projet de réhabilitation qui réponde aux besoins de ses administrés, si ça n’est pas jugé intéressant par la direction d’un grand groupe HLM basé loin du territoire ? Une perte de marge de manœuvre dans les zones peu attractives qui risque d’accroître le fossé avec les métropoles dynamiques.

2.- Vendre des HLM pour pallier le désengagement de l’État

C’est la recette miracle du gouvernement pour le secteur HLM. L’objectif est de passer de 8 000 à 40 000 ventes de logements HLM par an, soit 1 % du parc social. Il s’agit d’abord de « donner de la valeur à ces logements sociaux pour pouvoir investir dans la construction », selon le ministère de la Cohésion des territoires. En d’autres termes, les organismes devront compenser grâce à ces ventes les pertes de trésorerie occasionnées par la baisse des aides à la pierre (réduites à 50 millions d’euros) et surtout l’obligation de baisser une partie de leurs loyers. Selon les calculs, près de 2 milliards d’euros pourraient ainsi être dégagés. Sauf que, même si des mesures ont été prises pour faciliter les ventes, « l’objectif quantitatif ne semble pas réaliste », souligne l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère les organismes HLM.
Déjà adopté en 2007, ce type de dispositif n’avait abouti à rien, notamment parce que le niveau de vie des ménages logés en HLM, inférieur à la moyenne nationale, ne leur permet pas d’accéder à la propriété. C’est encore plus vrai aujourd’hui, alors que les nouveaux entrants dans le parc social sont plus pauvres que les anciens et que le gouvernement a supprimé l’APL accession, qui permettait, bon an mal an, à 50 000 ménages modestes d’accéder chaque année à la propriété.
Difficile à réaliser, cette accélération des ventes de HLM va aussi faire sortir pas mal de logements du secteur social alors que les besoins, avec près de 8 millions de demandeurs, restent énormes. « Nous ne sommes pas à un niveau de satisfaction de la demande sociale tel qu’on puisse renoncer à un objectif de construction ambitieux », estime Marianne Louis, secrétaire générale de l’USH. Pour faciliter ces ventes et permettre aux organismes d’engranger les fonds rapidement, le gouvernement s’est mis d’accord avec Action logement (ex-1 % logement) pour créer une structure qui pourra acheter des logements sociaux en blocs puis les revendre à la découpe. « Il y a un effet pervers puisqu’on achètera des immeubles avec des locataires HLM dedans, mais, pour les vendre, il faudra qu’ils soient vides. Il y aura donc des incitations, voire des pressions, pour faire partir les gens », alerte Manuel Domergue.
Le dilemme est aussi fort pour les organismes HLM. Ils devront choisir entre tenter de vendre à des ménages locataires, au risque de créer des copropriétés dégradées, ou vendre les plus beaux appartements de leurs parcs à des ménages solvables, quitte à se priver de leurs meilleures sources de revenus réguliers et à mettre à mal la mixité sociale. Le principe de la vente de HLM va aussi être compliqué à gérer pour les collectivités locales qui garantissent le financement du logement social et y investissent de plus en plus pour compenser le désengagement de l’État. « Si elles veulent continuer à produire du logement social, les collectivités vont devoir y mettre de l’argent. Mais en même temps le fruit de la vente ira aux organismes HLM », souligne Anne-Katrin Le Doeuff

3.- Un bail précaire pour les précaires…

Promesse du candidat Macron, le bail mobilité est une des mesures phares de la loi Elan. D’une durée d’un à dix mois, il est destiné à faciliter les mobilités liées au travail, mais aussi « à remettre sur le marché des logements qui n’y sont pas », explique le ministère de la Cohésion des territoires. Objet de nombreuses critiques, le bail mobilité a été amendé. Moins large que dans sa version initiale, il n’est pas renouvelable et s’adresse à un public défini par la loi : personnes en formation professionnelle, en mission temporaire, étudiants ou stagiaires. Des atténuations bienvenues mais insuffisantes pour nombre d’observateurs. « Un bail précaire pour les précaires. C’est la double peine pour ceux qui subissent déjà la précarité dans le monde du travail et qui vont la subir dans celui du logement », résume Manuel Domergue. Les baux mobilité vont aussi bénéficier de la garantie Visale, qui permet à l’État d’assurer les propriétaires contre les impayés et les dégradations. « Une garantie gratuite offerte à des bailleurs qui précarisent leurs locataires, sans même leur imposer de limiter leurs tarifs, peste Manuel Domergue. Il faudrait au contraire soutenir les propriétaires qui s’engagent à offrir des conditions de location stabilisantes et abordables. » En l’absence de contrôle, le risque de généralisation du bail mobilité est aussi pointé du doigt. « À Paris, souligne Ian Brossat, nous craignons une dynamique un peu similaire à celle des Airbnb, avec un fort développement de ces baux précaires au détriment de baux classiques. »

4.- Loyers : l’Encadrement reste expérimental

Le droit à l’expérimentation. C’est tout ce qu’a accordé le gouvernement en matière d’encadrement des loyers. « Avec la loi Elan, l’encadrement des loyers dans le secteur privé devient expérimental. Alors qu’il devait être obligatoire dans 28 agglomérations, il ne sera désormais mis en place que sur la base du volontariat, ce qui va limiter ses zones d’application », se désole Eddie Jacquemart, président de la Confédération générale du logement. Seule satisfaction, dans la foulée d’une décision du Conseil d’État, saisi par le gouvernement après l’annulation de l’encadrement des loyers à Lille et à Paris, le gouvernement autorise les villes qui le souhaitent à relancer l’expérimentation pour cinq ans. Pour cela, il supprime l’obligation, jusque-là en vigueur, d’appliquer l’encadrement sur l’ensemble d’une agglomération donnée. Pour justifier cette timidité, l’exécutif estime que l’expérimentation parisienne était trop courte pour permettre de bien évaluer l’impact de l’encadrement. Moins prudentes, les agences immobilières, elles, ont déjà appréhendé les conséquences de la mesure. Dans un communiqué, hier, le réseau Century 21 se félicitait : « L’annulation de l’encadrement des loyers a eu pour effet immédiat le retour des investisseurs. » Et une augmentation des prix à l’achat de 5,7 % en un an. Le tout, évidemment, au détriment des couches populaires. Selon l’aveu même de Century 21, après les employés et les ouvriers, « c’est au tour des cadres moyens d’être expulsés de la capitale »…
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