Le
4 avril 1968, le pasteur animateur du mouvement des droits civiques
était abattu. Cinquante ans plus tard, l’émancipation des Noirs
américains demeure une question d’actualité.
Il
y a cinquante ans, jour pour jour, Martin Luther King était assassiné à
Memphis. Aujourd’hui, il semble figé pour l’éternité dans l’image du
pasteur non violent de la marche de Washington du 28 août 1963, de
l’orateur de « Je fais un rêve… ».
Et certes, il était les deux, mais aussi le chantre de la
désobéissance civile, inspirée par Thoreau et Gandhi. Et dès sa
jeunesse, dans une Amérique ségrégationniste, sa foi, comme celle de son
père et de ses grands-pères, dont l’un figurait déjà comme
« communiste » dans les fichiers du FBI, était intimement liée à une
soif de justice et d’égalité.
Il a 20 ans lorsqu’il s’engage ouvertement dans la lutte,
24 lorsqu’il est nommé pasteur à Montgomery, dans cet Alabama où
violences racistes et persécutions sont légion. L’année suivante, la
campagne de boycott des bus, après le refus de Rosa Parks de céder sa
place à un Blanc – acte militant prémédité contrairement à ce qui
s’écrit généralement –, fait de lui une figure nationale. En 1957, il
fonde une organisation pacifiste ouverte aux Blancs, la Southern
Christian Leadership Conference (SCLC), organise dans le Sud marches,
sit-in, inscriptions sur les listes électorales, suscitant l’espoir des
populations noires et la haine du Ku Klux Klan et des autorités. Charges
de police, canons à eau, chiens d’attaque, agressions, attentats à la
bombe sont le lot quotidien des militants, arrêtés et jetés en prison,
quand ils ne sont pas assassinés.
Ses talents d’orateur font de lui le « nouveau Messie »
En une décennie, King devient le symbole de la lutte pour
les droits civiques. Ses capacités d’organisateur, son refus de céder
devant la terreur, ses talents d’orateur ont fait de lui le « nouveau
Messie ». Reçu par le pape, honoré du prix Nobel de la paix en 1964,
cette reconnaissance lui vaut l’hostilité des milieux dirigeants, du
FBI, de la CIA, de l’armée. Hoover, l’homme le plus puissant d’Amérique,
lui voue une haine personnelle féroce. Taxé ouvertement de communisme,
King est espionné jour et nuit. Maison, locaux militants, chambres
d’hôtel, églises et universités où il s’exprime sont placés sur écoute
et la SCLC est infiltrée à un très haut niveau.
Contrairement à une croyance très répandue, King ne fait
pas l’unanimité. Lassés de la non-violence, de nombreux militants
choisissent des mouvements plus radicaux, se réclamant du Pouvoir noir
de Stokely Carmichael, de l’US Organization de Ron Karenga ou des Black
Panthers. Mais la plus forte hostilité vient des mouvements noirs
modérés, en particulier la National Association for the Advancement of
Coloured People (NAACP), le plus important, dont le président, Roy
Wilkins, relaie même les accusations de communisme suscitées par Hoover.
Après une période d’avancées, avec les lois civiques de
1964 et 1965 interdisant la ségrégation et octroyant le droit de vote
aux Noirs, les progrès patinent. C’est que la question de l’égalité
reste posée. En matière d’éducation, de logement, de travail, le compte
n’y est pas. Et le droit de vote concédé est contrarié dans les États du
Sud par des subterfuges administratifs et la terreur exercée par le Ku
Klux Klan soutenu par les autorités.
Des scènes de guerre civile embrasent les états-Unis
Parallèlement, l’engagement sans cesse croissant au
Vietnam et l’augmentation exponentielle des dépenses militaires
interdisent toute politique sociale. Les minorités noire et indienne,
les pauvres blancs en sont les victimes désignées. Martin Luther King a
compris que le rôle de son organisation ne peut plus se limiter au seul
aspect « racial ». Le 4 avril 1967, le discours qu’il prononce dans
l’église de Riverside, à New York, traduit les changements profonds qui
affectent son mouvement et reflètent le sentiment d’une part croissante
de Noirs. Il proclame haut et fort la nécessité d’une conjonction des
luttes, celle de la jeunesse blanche qui refuse la guerre du Vietnam et
se radicalise et celles des minorités laissées-pour-compte. Son « appel à
une grande marche des pauvres sur Washington », cinq ans après le
succès de la marche d’août 1963, retentit comme un coup de tonnerre et
une menace pour le pouvoir.
King est plus que jamais le « communiste ». Roy Wilkins et
d’autres dirigeants stigmatisent son discours de Riverside comme
« propagande de Radio Hanoï », républicains et démocrates du Sud exigent
l’interdiction de la marche et l’arrestation de King, Hoover multiplie
les coups tordus – menaces, lettres anonymes, pressions et chantage –
pour le discréditer.
King est devenu l’ennemi public n° 1. Une atmosphère
d’hystérie gagne le pays. Le 4 avril 1968, un an jour pour jour après
Riverside, King est assassiné dans des conditions proprement incroyables
et des scènes de guerre civile embrasent les états-Unis.
Cinquante ans plus tard, alors que plus de 60 % des
Américains continuent à ne pas croire à la thèse officielle de sa mort,
la situation des Noirs américains pose toujours problème, mais, partout
dans le pays, se lève une nouvelle génération qui a renoué avec la
lutte.
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