Assemblée générale des étudiants, le 4 avril 2018, à Saint-Denis. Magali Bragard
La
contestation de la réforme de l’accès à l’université, qui ne cesse de
prendre de l’ampleur, commence à inquiéter sérieusement le gouvernement.
D’autant que ce mouvement, où se mêlent étudiants et enseignants, a de
bonnes raisons de s’amplifier.
Le
gouvernement pensait que l’affaire de la sélection à la fac était
pliée, que sa stratégie du fait accompli avait, une nouvelle fois,
parfaitement fonctionné. Mal lui en a pris. Depuis deux semaines, la
contestation de Parcoursup et de la réforme de l’accès à l’enseignement
supérieur, votée en février et difficilement mise en place dans les
universités, ne cesse de prendre de l’ampleur. Occupations
d’amphithéâtre et autres blocages « illimités » se multiplient comme des
petits pains. À Montpellier, Toulouse, Nancy, Paris-I ou encore Nantes,
les assemblées générales ont rassemblé cette semaine plus d’un millier
d’étudiants chacune. Le tout au grand dam de l’exécutif, bien obligé
désormais de prendre la situation au sérieux. Il aurait tort de ne pas
le faire. Car, même s’il est impossible d’en imaginer la future ampleur,
le mouvement dans les facs, qui mêle étudiants et personnels, n’est pas
près de s’éteindre.
À l’évidence, l’évacuation ultraviolente, le 22 mars au
soir, des étudiants de la faculté de droit de Montpellier, à laquelle
seraient mêlés le doyen et certains enseignants (lire page 6), a fait
l’effet d’un électrochoc. Tout comme les attaques de groupuscules
d’extrême droite à Lille ou à Paris-I. Depuis, le mouvement qui
dénonçait Parcoursup et l’instauration de la sélection à l’entrée en
licence, avec notamment la mise en place « d’attendus » dans chaque
filière, a pris, sans conteste, une nouvelle vigueur. Pour l’Unef, cette
dynamique repose sur plusieurs facteurs. « Il y a désormais, chez les
étudiants, une prise de conscience plus aiguë de la logique sélective de
Parcoursup, et il y a le désir de se mobiliser contre toute forme de
violence qui voudrait les empêcher de manifester pacifiquement leur
opposition », souligne Lilâ Le Bas, la présidente du syndicat. La
situation sociale, avec la grève des cheminots et les luttes pour la
défense du service public, dope évidemment la mobilisation estudiantine.
Tout comme, a contrario, l’intransigeance du gouvernement qui ne fait
qu’exacerber les tensions.
L’inquiétude du gouvernement
Officiellement, la ministre de l’Enseignement supérieur,
Frédérique Vidal, a condamné les violences de Montpellier et appelé,
d’une manière générale, à « l’apaisement ». Mais dans les faits, aucune
place au dialogue n’est donnée. Au contraire. Plusieurs interventions
policières ont été autorisées ces derniers jours, comme à Bordeaux et
Dijon. Ou encore Strasbourg où, mercredi soir, une centaine d’étudiants
qui occupaient un amphithéâtre du palais universitaire ont été évacués
manu militari par les forces de l’ordre. Vous avez dit « apaisement » ?
Dans les mots, le gouvernement tente également de disqualifier le
mouvement, taxé régulièrement d’être « ultra-minoritaire » ou manipulé
par « l’extrême gauche », comme l’a laissé entendre, jeudi, le premier
ministre Édouard Philippe sur France Inter, évoquant, histoire de
noircir le tableau, des « photos d’amphis dévastés, tagués »… Bref, la
bataille de l’opinion publique bat son plein.
Cette attitude révèle l’inquiétude grandissante du
gouvernement. Voire un brin de fébrilité. « Il sait que la mobilisation
mêlée des cheminots et des universités peut produire un rapport de
forces important, surtout avec des étudiants qui ont des modes d’action
plus radicaux et avec qui le maintien de l’ordre est plus compliqué »,
analyse Julie Le Mazier, chargée de cours à Paris-XIII et spécialiste
des mouvements étudiants. Selon elle, parler de mouvement
« minoritaire » ne tient plus debout. « Les étudiants n’ont pas le droit
de grève, donc difficile de faire le pourcentage de ceux qui
soutiennent la contestation et de ceux qui s’y opposent… Mais, ce qui
est sûr, c’est que le nombre de participants dans les AG, qui a atteint
3 000 à Montpellier, est très élevé, proche des niveaux observés lors du
conflit sur le CPE. La différence, pour l’instant, c’est qu’il n’y a
pas encore de manifestations monstres dans les rues. » Pour bientôt ?
Voire. En tout cas, rien n’indique que le mouvement va faiblir dans les
semaines qui viennent. Loin de là.
Les enseignants refusent de trier
L’intersyndicale réunissant les opposants à la loi Vidal
devrait organiser une nouvelle journée de mobilisation, mardi prochain.
Avant de participer à celle, interprofessionnelle, du 19 avril. Pendant
ce temps, estiment certains, l’application chaotique du processus
Parcoursup dans les facs va continuer de produire ses effets
repoussoirs. Notamment chez les profs. « Si le mouvement dans les
universités progresse, c’est aussi parce que les enseignants constatent
concrètement les biais de cette réforme », souligne Hervé Christofol,
secrétaire général du Snesup-FSU.
Alors qu’ils doivent, depuis mercredi, classer les
dossiers de terminales souhaitant intégrer leur faculté, nombreux sont
les profs qui refusent de participer à ce tri imposé par la plateforme
Parcoursup. Comment ? Soit en ne constituant pas les commissions des
vœux. Soit en répondant « oui » à toutes les candidatures et en les
classant premières ex æquo… «Le gouvernement nous demande de faire le
sale boulot pour lui, en choisissant ceux qui vont rester sur le
carreau, et ça, ce n’est pas possible ! » a réagi sur France Info,
Sophie Jallais, maître de conférences à Paris-I Panthéon-Sorbonne. Face
aux dizaines de milliers de candidatures, la réalisation d’un classement
manuel, affiné, comme le promet le gouvernement, relève également de
l’enfumage. « Au final, ce sont des logiciels, des algorithmes qui vont
faire ces classements, sur la base de notes qui ne donnent qu’une
illusion d’objectivité, relève Hervé Christofol. Ce système sera
profondément inégalitaire et inéquitable. » Raison pour laquelle ce
mouvement de refus, auquel a appelé le Snesup-FSU, se répand comme une
traînée de poudre. Le syndicat dénombrait, mercredi dernier, 70
départements ou UFR (unités de formation et de recherche) s’opposant à
cette sélection déguisée, ainsi que deux universités :
Bordeaux-Montaigne et Pau.
Pour le syndicaliste, la colère des lycéens, étudiants et
de leurs familles pourrait bien continuer de s’accroître. Le processus
Parcoursup va s’étaler jusqu’en septembre. « Or, l’enseignement
supérieur doit accueillir 40 000 lycéens supplémentaires à la rentrée
prochaine et le gouvernement ne crée que 20 000 places. Il n’y aura pas
de miracle. Il y aura autant, si ce n’est plus, d’étudiants mal orientés
que l’année dernière. » Et une raison de nourrir dans le temps le
mouvement dans les facs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire