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Basta ! : « La crise sert à tester jusqu’où on peut aller dans la flexibilité », alertiez-vous il y a quatre ans. Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?
François Daniellou [1] :
Il existe une flexibilité visible : le chômage partiel, les grands
plans de licenciements ou de suppressions d’emplois dans l’industrie. Et
une flexibilité quasiment invisible : la sous-traitance en cascade dans
le BTP, le recours à des salariés, notamment étrangers, dans des
conditions extravagantes. Le niveau d’inventivité de formes d’emplois de
plus en plus précaires est sans limite ! En tant qu’ergonome, quand
j’accompagne un inspecteur du travail, j’ai l’impression de visiter les
soutes de la République. Dans une agence d’intérim, un inspecteur a même
découvert un logiciel d’optimisation des fraudes. La crise a bien été
l’occasion de perfectionner sans arrêt la précarité de l’emploi.
Comment renverser le discours dominant qui présente le
travail essentiellement comme un coût, comme une charge pour les
entreprises ?
Si on paie un ouvrier, cela veut bien dire que l’on a besoin de son
intelligence, sinon le poste serait automatisé. Si c’est juste faire ce
qui est prévu, il n’y a pas besoin d’un travailleur. Ce qui fait la
compétitivité des entreprises, c’est la compétence des salariés. Dans
toute situation de travail, des choses ont été prévues par
l’organisation et le management, d’autres non. Si les travailleurs
faisaient seulement ce qu’on leur demande, rien ne sortirait des
ateliers ou des bureaux. Cela s’appelle la grève du zèle. Pour pallier
l’imprévu, les travailleurs déploient leur intelligence. Or, dans la
majorité des entreprises françaises, les travailleurs sont obligés de se
battre contre l’organisation pour compenser ce qui n’a pas été prévu.
Ils le font dans l’ombre, sans que cela soit reconnu, débattu ou
rémunéré.
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