jeudi 31 octobre 2024

Services publics : pourquoi les communistes veulent les inscrire dans la Constitution

Les sénateurs CRCE-K souhaitent inscrire dans la Constitution une Charte des services publics. Pour Cécile Cukierman, présidente du groupe communiste, la proposition de loi qui sera débattue ce mercredi 30 octobre est essentielle pour améliorer la vie des Français. Entretien.

Pourquoi inscrire dans la Constitution une Charte des services publics ?

Face aux fractures territoriales et sociales qui s’accentuent dans notre pays, il est essentiel de protéger les services publics. Mais ces derniers se dégradent. Tous les week-ends, des sénateurs du groupe communiste sont interpellés par les concitoyens mais aussi par les agents qui peinent parfois à fournir un service public de qualité. En première ligne, certains subissent des agressions verbales et physiques.

Pourtant, une majorité décide encore de sacrifier sur l’autel de la rigueur budgétaire les services publics d’État, hospitaliers, ou encore les moyens donnés aux collectivités territoriales pour les développer. À travers cette proposition de loi, nous souhaitons les sacrer d’un point de vue républicain.

En tant que représentants du peuple et de ses territoires, nous avons pour obligation de préserver la vie des Français, et cela passe par la protection des services publics bien trop fragilisés à l’échelle européenne, mais aussi dans notre pays, à cause de choix budgétaires qui pourraient s’annoncer désastreux dans les mois et années à venir.

Quels seraient les effets de cette constitutionnalisation ?

Il ne faut pas ouvrir une boîte de Pandore qui viendrait figer dans le temps une liste de services publics. Nous avons besoin d’une véritable charte pour les prendre dans leur intégralité, pour nous préserver de leur évolution – parce que les futurs besoins de la population ne sont pas les mêmes que les précédents.

Aujourd’hui, nous sommes capables de parler de services de la petite enfance ou des transports tels qu’ils sont mis en œuvre par les communes, les départements ou les régions. Donc la question n’est pas d’être dans une nationalisation de tous les services, ni de ne s’intéresser qu’aux services publics régaliens relevant de la compétence de l’État.

Il faut prendre l’ensemble de ces services financés en partie par la solidarité nationale et par l’effort de tous, pour incarner au quotidien l’égalité sociale et territoriale.

En commission de lois, la droite n’a pas donné un avis favorable à votre proposition…

C’est un vrai débat. On ne peut pas se plaindre de la fermeture d’une école, d’une gare, d’une poste ou d’un centre d’impôt, de la saturation des urgences, on ne peut pas s’émouvoir non plus des difficultés rencontrées par nos concitoyens sans s’assurer du budget accordé aux services publics. Nous devons sortir de cette hypocrisie : des choix doivent s’opérer.

Mais nos concitoyens ressentent une forme de désillusion car peu les défendent. La dégradation, l’éloignement mais aussi leur absence renvoient à l’isolement, au chacun pour soi. La division des Français est le premier terreau de l’extrême droite aujourd’hui.

Lorsqu’on ne souhaite pas constitutionnaliser et donner de réels moyens pour garantir un bon fonctionnement des services, il ne faut pas s’étonner des répercussions. En ce temps de crise politique, si l’on veut réconcilier les Français, il faut agir, et vite.

 

Déplacement forcé d'exilés en Albanie : pourquoi des juges italiens demandent à la Cour européenne de justice d’intervenir ?

Des juges italiens ont demandé à la Cour européenne de justice d’intervenir sur la nouvelle politique du gouvernement de Giorgia Meloni, a appris, mardi 29 octobre, l’Agence France Presse.

Une nouvelle étape a été franchie pour tenter de garantir les droits fondamentaux des demandeurs d’asile. Une bataille nécessaire, face au gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni qui cherche à contourner l’opposition de la justice à son accord sur les exilés passé avec l’Albanie.

Ainsi, des juges du tribunal de Bologne ont demandé à la Cour européenne de justice, vendredi 25 octobre, de clarifier la situation face aux « divergences évidentes » et aux « conflits d’interprétation » dans le système juridique italien, selon un document lu mardi 29 octobre par l’Agence France Presse.

Il s’agit d’un conflit fondamental entre le gouvernement et les juges romains. Ces derniers ont refusé d’approuver la détention de 12 premiers exilés envoyés dans des centres en territoire albanais début octobre. Les demandeurs d’asile ont ensuite été rapatriés en Italie.

Le refus des juges d’approuver la détention

Pour refuser d’appliquer l’accord honteux du gouvernement italien avec l’Albanie, les magistrats romains se sont appuyés sur un arrêt de la Cour européenne de justice selon lequel les pays dits « sûrs » doivent l’être dans leur totalité, tandis que l’Italie a établi une liste de pays sûrs avec des exceptions, telles que la persécution de certaines catégories comme les personnes LGBT.

Pour pouvoir enfin appliquer l’accord qui remet purement et simplement en cause le droit d’asile, le gouvernement italien a rapidement modifié la loi, supprimant les directives précédentes.

À la suite de ces modifications, les juges ont demandé une clarification de l’interprétation de la législation. « Le système de protection internationale est, par nature, un système juridique de garantie pour les minorités exposées aux risques d’agents persécuteurs, qu’ils soient étatiques ou autres », ont-ils écrit.

« On pourrait dire, paradoxalement, que l’Allemagne nazie était un pays extrêmement sûr pour la
grande majorité de la population allemande : à l’exception des juifs, des homosexuels, des opposants politiques, des personnes d’origine rom et d’autres groupes minoritaires, plus de soixante millions d’Allemands jouissaient d’un niveau de sécurité enviable 
», ont-ils déclaré. Et de poursuivre : « La même chose pourrait être dite de l’Italie sous le régime fasciste ».

 

mercredi 30 octobre 2024

Budget 2025 : comment la gauche a alourdi la note pour les riches et les grandes entreprises

Avant l’interruption de l’examen du projet de loi de finances, plusieurs mesures alourdissant la note pour les plus riches et les grandes entreprises ont été votées.

Ci-gît le macronisme fiscal. En une semaine d’examen du budget 2025, la gauche et une partie des oppositions ont méthodiquement torpillé les dogmes en vigueur depuis 2017, selon lesquels toute hausse de prélèvements pesant sur les plus riches et les entreprises précipiterait la France dans le chaos.

C’est au nom de cette idée reçue que le pouvoir macroniste a empilé les ristournes fiscales, de la baisse de l’impôt sur les sociétés à la création d’une « flat tax » sur les revenus financiers, en passant par l’allégement des impôts de production. Une politique qui a surtout contribué à alourdir le poids de la dette française (3 228,4 milliards d’euros au deuxième trimestre 2024), sans faire la preuve de son efficacité économique.

Le premier ministre avait déjà (timidement) écorné ce totem fiscal dans sa version initiale du budget 2025, en prévoyant notamment l’instauration d’une contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus, qui devait garantir un taux d’imposition d’au moins 20 % pour tous les foyers déclarant plus de 250 000 euros de revenus annuels pour une personne seule et 500 000 euros pour un couple. Soit quelque 24 300 foyers, selon les calculs de Bercy.

Impôt de 2 % sur les patrimoines au-dessus de 1 milliard d’euros

Mais la gauche est allée bien plus loin, lors de l’examen du budget dans l’Hémicycle. D’abord, en pérennisant et en élargissant cette contribution (au départ prévue pour seulement trois ans). Ensuite, en faisant voter plusieurs mesures destinées à ponctionner davantage les grandes entreprises et les plus riches.

La plus symbolique est l’instauration d’un impôt de 2 % sur les patrimoines au-dessus de 1 milliard d’euros. C’est une version (certes limitée à la France) de la fameuse « taxe Zucman ». Partant du principe que, dans le monde, les milliardaires ne payent pratiquement aucun impôt sur le revenu, grâce à diverses techniques d’optimisation fiscale, l’économiste Gabriel Zucman préconise la création d’un impôt mondial sur les patrimoines. Même limité à 2 %, il pourrait rapporter 220 milliards d’euros à l’échelle de la planète et 15 milliards pour la France.

Autre mesure symbolique, la gauche a fait adopter à l’Assemblée le retour progressif de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qu’Emmanuel Macron avait commencé à supprimer. Une taxe pesant surtout sur les grandes entreprises, dont le retour a horrifié les macronistes… et l’extrême droite. Il faut dire que le RN a souvent volé au secours des plus riches et des grands patrons lors de l’examen du budget, sous prétexte de défendre les chefs d’entreprise. Le parti d’extrême droite s’est notamment insurgé contre la suppression de la « flat tax », proposée plus tôt dans la semaine.

Quel sera l’avenir de ces dispositions adoptées par la gauche ? L’examen du budget a été interrompu ce 26 octobre et reprendra à l’Assemblée le 5 novembre. Il est fort probable que le gouvernement de Michel Barnier choisisse de recourir à l’article 49.3 pour faire passer le budget, ce qui aura pour conséquences de balayer une bonne partie des amendements proposés par la gauche. En attendant, cette dernière savoure malgré tout ce premier outrage fait au macronisme…

 

Mal de tête

C’est une belle matinée de début d’automne dans la campagne viterboise, à une centaine de kilomètres au nord de Rome. Sur les chemins, la récolte des châtaignes a débuté. Pour moi, le commencement d’un week-end tant attendu avec mes proches. Au milieu des cafés, le téléphone posé sur la table, vibre. Les messages n’en finissent plus d’arriver. Ils proviennent de journalistes de grands médias souhaitant couvrir la vente du Doliprane par la firme Sanofi à un fonds américain. « Nous souhaitons vous inviter à notre émission spéciale Doliprane. » Deux semaines plus tôt, Jérôme Martin et moi avions annoncé la fin de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds).

Tout d’un coup, il m’apparaît fou que tant de personnes soient si sensibles à un symbole, et en particulier au destin d’une marque déposée, le Doliprane, dont le brevet sur la molécule, le paracétamol, est tombé dans le domaine public depuis la fin des années 1990, laissant la possibilité à de multiples producteurs de la commercialiser. D’ailleurs, en dehors du monde francophone, personne ne connaît la marque Doliprane, et les Américains parlent même d’acétaminophène plutôt que de paracétamol pour sa dénomination commune internationale (DCI).

Pourquoi les recommandations de la commission d’enquête du Sénat qui avait enquêté sur les pénuries à répétition dans l’Hexagone, sont restées sans suite ?

Cette vente représente un symbole fort, certes, mais dit peu de choses des capacités de production réelles de cette molécule sur le sol français, y compris de ses principes actifs pharmaceutiques (API), ni du nombre de ses producteurs enregistrés auprès de l’agence du médicament. Autrement dit, sans production nationale des principes actifs, on reste dans la dépendance des pays producteurs, souvent asiatiques – comme la situation de 2020 l’avait montré – et les pénuries sont inévitables.

Depuis très longtemps, Sanofi s’est délesté de la plupart de ses outils de production et unités de recherche. Il serait donc pertinent de regarder plutôt du côté des engagements gouvernementaux de 2020 et du plan France relance, et les promesses de relocalisation d’une production en France, y compris d’API. Il serait bon également de se demander pourquoi, des années après les premières propositions de loi déposées sur la question, l’idée d’un pôle public du médicament est au point mort, ou encore pourquoi, près d’un an et demi après son adoption, les recommandations de la commission d’enquête du Sénat sur les politiques pharmaceutiques, qui avait enquêté sur les pénuries à répétition dans l’Hexagone, sont restées sans suite.

En cinq ans d’existence d’OTMeds, nous avons alerté sur les ruptures et pénuries de médicaments en tout genre. Des antibiotiques à large spectre comme l’amoxicilline, des anticancéreux, insulines, antirétroviraux, pilules abortives, produits sanguins… toutes les classes thérapeutiques sont concernées. Il est donc curieux que ce qui parle le plus aux médias aujourd’hui soit la vente par une multinationale d’une marque dont celle-ci est propriétaire. Rien de plus courant dans un système financiarisé et néolibéral.

Les politiques de santé en France méritent mieux que des débats superficiels. Pourtant, le temps nous l’a montré, à part une poignée d’entre eux (dont l’Humanité, qui y a souvent consacré des dossiers de fond), les médias restent à la surface sur ces questions. Ils font partie du problème. On ignorera donc les vibrations du téléphone et on profitera de la chance d’être entouré par cette nature si dense et sauvage et par ses proches que l’on aime tant, loin de l’agitation et des impostures de la place publique parisienne.

 

mardi 29 octobre 2024

Budget : Michel Barnier en sursis


 Débats suspendus, vote repoussé en attendant un possible 49.3 : l’examen du budget couve la fièvre du gouvernement Barnier.

La discussion sur la partie recette du budget 2025 est donc suspendue. Commence l’examen du volet recettes du projet de loi de finance de la Sécurité sociale, le PLFSS. Cette semaine passée dans l’hémicycle et celle qui s’ouvre sont des jalons dans la reconstruction d’un débat politique confisqué en juin dernier.


La dissolution avait pris tout le monde par surprise ; les alliances se sont scellées dans l’urgence. Les projets aussi. La question qui a dominé cette période folle fut celle de l’accès au pouvoir du Rassemblement national. Cette discussion sur le budget de l’État et celle sur la Sécurité sociale permet d’aller plus loin et de commencer à identifier des cohérences. Une séquence d’éducation populaire et de politisation à grande échelle a lieu, malgré le brouillage sur fond de petites anecdotes sur les trahisons, les bras d’honneur et l’absentéisme.

Ainsi, la fracture au sein du très mal nommé « socle » central n’apparaît pas de circonstance. Parce que des alternatives au projet de budget présenté par Michel Barnier étaient discutées et votées en commission et dans l’hémicycle, il devient limpide que les macronistes restent attachés comme à la prunelle de leurs yeux à la « politique de l’offre » qui pourtant a échoué, partout et toujours. Elle se traduit présentement par un déficit des comptes publics, un déficit du commerce extérieur, une stagnation de la productivité du travail, une augmentation des inégalités et de la pauvreté. La baisse du taux de chômage se fait au prix d’une forte dégradation des protections sociales et des conditions de travail. Et pourtant, selon leurs leaders, il importe de ne surtout pas « appauvrir les milliardaires » comme le défend Éric Woerth à l’Assemblée. C’est dit et c’est compris.

Une crise politique majeure guette. Quelle sera l’alternative ? La seule alliance qui se montre solide, stable et cohérente est celle du Nouveau Front populaire.

La droite, elle, n’a comme boussole que « l’ordre, dans la rue et dans les comptes ». C’était son slogan en 2022 avec le succès que l’on sait (moins de 5% pour Valérie Pécresse). Ça ne vise toujours pas plus loin aujourd’hui. Du coup, la proposition de budget de Michel Barnier apparaît pour ce qu’elle est : un jeu de rapine qui ne propose en aucune façon une politique. Il ne fait pas de l’absence d’impôts et de taxes une religion, mais il les étale sur le plus grand nombre – les retraités, les malades, les fonctionnaires, etc. Il n’est pas près de convaincre le pays.

Le MoDem, lui-même, se fait entendre. Lui qui est le porteur historique du « et de droite et de gauche », au nom de l’alliance des bonnes volontés, manifeste son malaise devant des politiques si foncièrement injustes et clivantes. Il n’y a pas davantage de « socle commun » que de « centre ». L’exposition crue des dissensions entre variantes de droite montre l’inanité du mécano Macron. Une crise politique majeure guette.

Quelle sera l’alternative ? Se présenter comme une relève possible est tout l’enjeu des députés RN. Ils n’ont pas fait montre de cohérence et de solidité. Après avoir voté des amendements en commission puis contre le projet global, ils s’abstiennent dans l’hémicycle. En fait, ils ne sont pas intéressés par ces débats. Ils envoient des messages contradictoires. Ils ratissent. Ont-ils convaincu ? 

La seule alliance qui se montre solide, stable et cohérente est celle du Nouveau Front populaire. Ses députés démontrent au moins trois choses : il y a de l’argent en France et donc des choix sont possibles ; les Mozart de la finance sont de piètres virtuoses et le procès en dépenses inconsidérées ne sont pas à gauche ; le NFP peut réunir des majorités sur ses propositions qui correspondent aux attentes des Français. Cela fait de solides arguments pour la suite.

Rachida Dati met la culture à l’amende


 En ne voyant les visiteurs que comme des porte-monnaie et des passeports, la ministre piétine l’universalité de la culture.

Dans un entretien au Figaro, la ministre de la culture a avancé l’idée de revenir sur la gratuité de l’entrée dans Notre-Dame de Paris. Prenant comme exemple l’Espagne (mais elle aurait aussi pu penser à l’Italie), les visiteurs paieraient 5 euros pour visiter la nef de la cathédrale. Cela permettrait, dans l’esprit de Rachida Dati, de sauver « toutes les églises de France » – rien que ça !

Revenir sur le libre accès à notre patrimoine est une fausse bonne idée. Ce péage tarifaire imposé aux curieux entraverait nécessairement les élans et les envies : une famille de cinq personnes en visite à Paris se poserait a minima la question de dépenser 25 euros pour entrer dans le bâtiment quand, auparavant, elle pouvait visiter le lieu sans se soucier de ce problème pécuniaire. Mais au fond, c’est surtout l’universalité de l’accès qui est remise en question : Notre-Dame ne serait plus un lieu de notre commun mais un espace privatisé, quoique partagé par tous ceux qui ont payé leur ticket.

Vous allez me dire : les musées, publics comme privés, c’est pareil, faut payer un billet à l’entrée le plus souvent. C’est vrai et c’est tout aussi problématique… 15 euros pour aller au Centre Pompidou, ce n’est évidemment pas donné à tout le monde. Et cette logique de tri social est même accentuée par ceux qui possèdent des sésames élitaires comme les cartes d’accès à l’année. Bref, comme dirait Malraux, la consécration du musée comme lieu de la délectation bourgeoise…

La ministre de la culture ne s’y est pas trompée puisqu’elle a aussi parlé, dans son entretien, du coût de l’entrée dans certains musées ou monuments nationaux avec une proposition détonante : faire payer différemment le billet en fonction de l’origine géographique du visiteur. En gros, vous venez de France ou d’Europe, vous paierez moins cher que si vous êtes extra-européen. 

Là encore, ce qu’on attaque, c’est le musée en tant que lieu de l’élaboration de la compréhension universelle. On vous signifie que, si vous allez voir un Vinci ou un Delacroix, il importera de vous rappeler que, comme dirait Rachida Dati, « les Français n’ont pas vocation à payer tout, tout seuls ». Devant la Joconde, vous ne serez plus un homme ou une femme qui se confronte à un sourire et au temps mais un Brésilien ou un Chinois qui contemple une œuvre détenue et entretenue par une institution française. Terrible aveu de notre faiblesse collective : de plus en plus, on abandonne l’idée que le musée est un lieu « peuplé de fantômes, où l’art appartient à l’art », et à personne d’autre.

lundi 28 octobre 2024

Charvieu-Chavagneux. Logiplast-Team Tex liquidée, 161 salariés bientôt licenciés


 Le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé, ce mercredi 23 octobre, la liquidation judiciaire de l'entreprise Logiplast-Team Tex, spécialisée dans les sièges auto pour enfant, à Charvieu-Chavagneux. Les 161 salariés vont être licenciés.

La chronique de Maryse Dumas


 

Faire attention aux autres !




« Faire attention aux autres », c’est ce que Marie-Claude retient de plus important dans les enjeux actuels du syndicalisme. Elle avance cette idée dans une réunion syndicale tenue la semaine dernière. Retraitée aujourd’hui, elle raconte l’une de ses premières luttes d’ouvrière du textile. Les conditions de travail, c’était « le bagne », dit-elle. Les ouvrières encaissaient tout, les cadences insupportables, les salaires de misère, les brimades, le mépris. Puis, un jour, la direction refuse à une ouvrière qui vient de perdre son enfant de pouvoir arrêter là sa journée.

D’un seul coup, c’est la grève. Les ouvrières s’insurgent contre une décision inhumaine envers l’une d’entre elles, frappée par un malheur terrible. Vingt-quatre heures auparavant, c’était inimaginable et pourtant elles l’ont fait. Et elles l’ont fait par solidarité. La CGT présente dans l’entreprise joue son rôle : entendre, porter, valoriser les exigences des ouvrières, les aider à gagner sur le sujet qu’elles ont elles-mêmes choisi, et ainsi contribuer à leur prise de conscience de leur propre force. Dans l’action, les revendications s’élargissent, la CGT y contribue. Marie-Claude termine son récit, la réunion syndicale se poursuit autour de son idée : faire attention aux autres est le maillon le plus important pour faire vivre et développer l’action syndicale et la syndicalisation.

Se syndiquer doit permettre de se sentir plus fort, plus entouré, et aussi plus libre.

Depuis de très nombreuses années, le nombre de syndiqué.es qui quittent la CGT est aussi important que le nombre d’adhésions nouvelles réalisées. Le phénomène touche aussi les autres organisations, au point que l’on peut estimer aujourd’hui que le syndicat le plus nombreux en France est celui des anciens syndiqué.es. Toutes les directions syndicales sont, bien sûr, conscientes du problème, mais elles sont comme démunies face à ce véritable tonneau des Danaïdes. Les nombreuses tâches syndicales quotidiennes, toutes urgentes et importantes, conduisent à délaisser cette part moins visible.

Les raisons à ces départs aussi discrets que nombreux sont évidemment multiples : mobilités professionnelles et géographiques, déménagements, changements de vie personnelles, et, bien sûr, mal-être dans l’organisation voire désaccords de fond ou personnels avec tel ou telle de ses dirigeant.es. Parmi toutes ces raisons, une surnage : un lien trop distendu entre syndiqué.es. Il ne suffit pas, même si c’est important, de recevoir des informations syndicales par courrier, courriel ou autre pour avoir le sentiment qu’il y a une vraie valeur ajoutée à être syndiqué.e. Celle-ci ne peut résulter que de l’expérience concrète d’une vie syndicale où on peut échanger, donner son avis et entendre celui des autres. 

Être écouté, participer à la prise des décisions, et à leur mise en œuvre, c’est le b.a.-ba de l’intégration syndicale. On a aussi besoin de se sentir compter dans l’équipe, d’être quelqu’un que l’on connaît, dont on prend des nouvelles quand on est absent d’une réunion ou d’une initiative… Or ce n’est pas ce qui domine dans notre vie syndicale quotidienne. Dans l’immensité, la complexité et la dureté des tâches militantes, il y a sans doute besoin de modifier l’ordre des priorités. Se syndiquer doit permettre de se sentir plus fort, plus entouré, et aussi plus libre. La solidarité entre les syndiqué.es s’affirme alors comme une arme essentielle pour combattre les mises en concurrence néolibérales et avancer vers un changement fondamental de société.

Carrefour annonce la suppression de 336 emplois d’ici la fin 2024

Les mauvaises nouvelles n’ont pas tardé pour les salariés de Cora. Suite au rachat de l’enseigne en juillet dernier, Carrefour a fait savoir que 336 postes allaient être supprimés d’ici la fin de l’année.


La fin du suspens, après le rachat de l’enseigne Cora par Carrefour en juillet dernier, ressemble à une pluie de mauvaises nouvelles pour les salariés. La fermeture du siège de Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne) entraînera 284 licenciements, tandis que 84 postes seront supprimés au sein de la centrale d’achat alimentaire Provera. La négociation de l’accord de méthode pour le « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) débutera lors du Conseil Social et Économique (CSE) du 7 novembre prochain.

La direction a indiqué la mise en place de 118 postes de reclassement au siège de Carrefour à Massy (Essonne) sur des fonctions équivalentes. Des propositions qui impliquent néanmoins une mobilité géographique des salariés, ce que déplore Cyrille Lechevestrier, représentant syndical CFTC au CSE central.

Des reclassements incompatibles avec les postes disponibles

Carrefour a également affirmé qu’un reclassement serait proposé à chaque salarié dont le poste est supprimé. Toutefois, les postes disponibles risquent de ne pas correspondre aux compétences des personnes concernées explique le délégué CFTC : « Les salariés sur sites sont majoritairement des cadres accomplissant des tâches administratives, alors qu’en magasin, il s’agit de profils commerciaux. Ce ne sont pas les mêmes métiers, ni les mêmes niveaux de rémunération. Entre 220 et 240 personnes risquent donc de se retrouver au chômage. »

Lors du rachat en juillet dernier de 60 établissements Cora et 115 magasins Match, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, avait pourtant cherché à rassurer les salariés des deux enseignes en promettant de les « préserver et (de les) développer », comme le rappelle la CFDT dans un communiqué. Ces annonces n’avaient guère convaincu les syndicats, déjà inquiets de la perspective de suppressions de postes. « Carrefour nous disait que rien n’allait changer pour nous, tout en prévoyant des millions d’euros d’économies avec ce rachat. On n’est pas dupes : on sait où ils vont trouver cet argent », déclare Cyrille Lechevestrier.

Ces coupes dans les effectifs interviennent alors même que Carrefour a fait savoir le 23 octobre que le groupe a atteint « son meilleur niveau de compétitivité depuis 2020 », avec un chiffre d’affaires en hausse au troisième trimestre 2024, « grâce à l’intégration des deux enseignes Cora et Match ». Cette acquisition a permis à Carrefour de gagner 2 % de parts de marché dans le secteur très concurrentiel de la grande distribution, tout en renforçant sa présence dans le Grand Est et le Nord de l’Hexagone, où les deux enseignes sont particulièrement bien implantées.

Les syndicats craignent davantage de licenciements

Les représentants syndicaux craignent désormais que la casse sociale continue pour les 16 000 salariés de Cora. En effet, la décision de l’Autorité de la concurrence attendue pour le premier semestre 2025, pourrait entraîner la fermeture de certains magasins. Selon les règles en vigueur, un même groupe ne peut en principe pas détenir plus de 50 % des surfaces de grande distribution ni 30 % des parts de marché alimentaire dans un rayon de 30 minutes en véhicule motorisé. Le rachat de Cora et Match par Carrefour pourrait enfreindre ces limites dans certaines zones.

Cyrille Lechevestrier redoute également que certains sites logistiques ne soient fermés en raison de leur proximité géographique avec des plateformes Carrefour. Daniel Delalin, délégué syndical FO, tempère toutefois cette appréhension en rappelant que les sites logistiques de Cora devraient permettre à Carrefour de renforcer son maillage territorial, dans une zone où le groupe n’était pas très présent jusqu’alors.


Les deux élus du personnel attendent enfin des garanties de la part de la direction concernant d’éventuels recours à la location-gérance, un modèle largement utilisé par Carrefour. Ce système qui consiste à confier à un tiers l’exploitation du magasin en échange d’une redevance, tout en laissant à Carrefour la propriété du fonds de commerce, peut nuire aux conditions de travail des salariés.

La nouvelle direction du magasin a alors la possibilité de remettre en cause les accords d’entreprise préexistants et d’en négocier de nouveaux. « Pour les employeurs, la location-gérance c’est l’avenir de la grande distribution, mais notre syndicat est totalement opposé à cette remise en cause de nos acquis sociaux » affirme Daniel Delalin, délégué syndical FO au CSE central de Cora.

 

dimanche 27 octobre 2024

Appel à mobilisation Pont de Claix


 

« Les Israéliens pensent que la seule solution pour vivre en sécurité, c’est la guerre »


 Que pensent les Israéliens ? De la guerre, à Gaza puis au Liban. Des crises politiques et économiques qui s’enchaînent. D’une société qui se radicalise. On en a causé avec Nitzan Perelman.

Nitzan Perelman est doctorante en sociologie politique à l’Université Paris-Cité, cofondatrice du site yaani.fr qui analyse les sociétés palestinienne et israélienne.

Regards. Voilà plus d’un an que la situation au Proche-Orient a basculé dans un nouveau niveau de violence. Qu’est-ce qui a changé depuis le 7 octobre 2023 au sein de la société israélienne ?

Nitzan Perelman. En soi, il n’y a rien de nouveau dans cette situation. Les Israéliens ont l’habitude de ces moments de tension – même si cette séquence est très longue. Depuis sa création, Israël est en état d’urgence, quand il n’est pas en guerre. Les Israéliens n’ont jamais rien connu d’autre, au point que même les accords de paix avec la Jordanie et l’Égypte ne sont pas pris au sérieux. Mais il est vrai que le 7-Octobre a été un très grand tournant dans la région et un point de radicalisation et de fracture. Tous les phénomènes que l’on observe aujourd’hui étaient déjà présents dans la société israélienne, ils sont simplement exacerbés. Il faut se rappeler qu’en décembre 2022, quand le gouvernement accède au pouvoir, ils avaient des objectifs très clairs concernant la colonisation de la Cisjordanie et, en mars 2023, ils ont abrogé la loi sur le désengagement de Gaza qui interdisait la construction de colonies.

Tout de suite après le 7-Octobre, il y a eu cette impression que l’armée israélienne, qui est l’institution en laquelle les Israéliens ont le plus confiance, ne fonctionnait plus. C’est un changement d’ampleur parce qu’en Israël, la sécurité est la première des priorités. Cette image d’une armée puissante, dont le renseignement se veut un des plus efficaces au monde, a été brisée. Mais depuis, notamment avec les assassinats des leaders du Hamas et du Hezbollah, cette image est restaurée.

Existe-t-il encore une opposition à Benyamin Netanyahou ou assiste-t-on à une sorte d’union sacrée, à l’extrême droite toute ?

Il y a une très forte opposition à Netanyahou, mais il faut comprendre sur quoi elle repose. Avant le 7-Octobre, cette opposition se basait sur la contestation de la réforme judiciaire, l’alliance du Likoud avec l’extrême droite. Maintenant, l’opposition est concentrée sur la libération des otages, considérée par Netanyahou et ses ministres comme moins prioritaire que l’occupation de Gaza ou la destruction du Hamas.

Pourtant, les manifestations se sont multipliées depuis – début septembre, ce sont plus de 500 000 personnes qui défilaient à Jérusalem. Est-il question de paix dans les revendications de ces Israéliens ?

S’il est question de cessez-le-feu, c’est uniquement pour la libération des otages, aucunement pour cesser la guerre. La paix, le sort des Palestiniens ne sont pas du tout évoqués. Les familles des otages ont fait une campagne dont le slogan était « On les ramène d’abord, on y retourne après ». Autre élément de compréhension de l’état d’esprit des Israéliens : un sondage, publié fin avril, montrait que seulement 4% des juifs israéliens considèrent que la guerre est allée trop loin. Concernant la guerre avec le Liban, le soutien est plus large encore. Même le centre et la gauche sioniste sont très impliqués – on a dit que la gauche s’est « réveillée » le 7-Octobre. On voit par exemple Yaïr Golan, président du parti Les Démocrates, qui a très clairement exprimé son opposition au cessez-le-feu et son soutien à la guerre au Liban.

Depuis sa création, Israël est en état d’urgence, quand il n’est pas en guerre. Les Israéliens n’ont jamais rien connu d’autre. Plus personne ne pense que la paix est possible.

La nouveauté par rapport aux précédents conflits, c’est que l’extrême droite est dans la coalition au pouvoir et ses ministres poussent pour accentuer les tensions avec tous les pays voisins. Netanyahou aussi utilise ce sentiment de peur et de guerre permanente pour rester au pouvoir. Les plus modérés n’échappent pas à cette idée et plaident pour le droit d’Israël à se protéger. Le centre et la gauche sioniste n’appellent pas faire la guerre, mais ils la soutiennent au nom de la sécurité.

Des dizaines de milliers d’entreprises ont fait faillite depuis le 7-Octobre. Le pouvoir a basculé à l’extrême droite. La guerre est à chaque frontière. Et c’est normal pour les Israéliens ?

C’était déjà très compliqué avant le 7-Octobre. En 2011, il y a eu une crise économique et des manifestations très importantes contre le coût de la vie. Entre 2019 et 2021, il y a eu une crise politique où Israël a connu quatre élections législatives sans majorité. Quand, en 2022, Netanyahou a fini par former sa coalition avec l’extrême droite, il subit une énorme contestation contre la réforme judiciaire. Puis arrive le 7-Octobre, le choc de l’attaque, la durée du conflit, le nombre de réservistes mobilisés, la situation économique qui s’enfonce, le fait qu’il y a énormément de déplacés… Non, ça n’est pas normal pour les Israéliens, le sentiment d’insécurité et de fatigue est plus important que jamais. Mais, encore une fois, ça n’est pas un changement, c’est une radicalisation. Plus personne ne pense que la paix est possible et, donc, la seule solution pour que les Israéliens soient en sécurité, c’est la guerre.

Arrivez-vous à imaginer, d’ici un an, ou peut-être plus, une issue pacifique à cette guerre ?

Je suis assez pessimiste. On voit très clairement où veut aller le gouvernement Netanyahou. Le Likoud et ses alliés d’extrême droite – Otzma Yehudit et le Parti sioniste religieux – ont organisé un événement pour la recolonisation de Gaza. Ça ne se fera peut-être pas d’ici un an, mais ils vont mettre en place le « plan des généraux », c’est-à-dire évacuer la population, détruire ce qu’il reste à détruire et occuper militairement Gaza. La construction des colonies viendra dans un second temps. Concernant le Liban, la même idée commence à germer. Parce que cette guerre ne ressemble pas aux opérations précédentes, plus ponctuelles entre deux moments de normalisation. On voit désormais des gens comme Daniella Weiss, une figure emblématique du mouvement des colons, appeler à la colonisation du Sud du Liban. Au sein du gouvernement, on évoque plutôt l’importance de contrôler militairement cette région. Je ne sais pas si c’est possible, mais ça n’est pas improbable.

Où sont les 27 700 étudiants sans affectation ?


 27 700 étudiants en demande de master se sont trouvés sans réponse, voire sans aucune proposition d’admission. Alors que le ministère se félicite, ce sont des milliers de jeunes, 15%, qui sont encore exclus de l’enseignement supérieur. 

Ce nouveau système contraint de nombreux jeunes à accepter des formations qui ne sont pas celles désirées. Un geste que nous retrouvons aussi avec la plateforme Parcoursup ayant contribué à chasser de l’enseignement supérieur plus de 31% de bacheliers cette année. L’acceptation par défaut d’une formation est une source importante d’abandon de la formation. Cette perspective ne permet donc ni l’émancipation des jeunes, ni la formation de futurs travailleurs.

Mon Master comme Parcoursup accentuent aussi les logiques de concurrence entre établissements du supérieur et entre formations, créant des déséquilibres qui menacent nos universités et la pluralité de formations qu’elles offrent. La collectivité paiera cher les conséquences de cet assèchement de filières pourtant essentielles.

Pire encore, ces outils participent à favoriser l’enseignement supérieur privé (accueillant déjà plus de 25% des étudiantes et étudiants) qui se réjouit de pouvoir offrir une solution de repli en échange de coûts d’inscriptions exorbitants ou de se présenter comme une échappatoire aux plateformes de sélection.

Tous les étudiants et étudiantes n’ont pas les moyens de financer ces formations. Pour tous ces jeunes, la seule sortie est de trouver un travail alimentaire ou travail dissimulé à travers des services civiques. Quelle que soit l’issue, celle-ci sera une plongée dans la précarité sans aucune garantie de retour à la formation. La poursuite des formations doit être une garantie, car elle est protectrice pour des milliers de jeunes.

Si nous souhaitons répondre collectivement aux défis économiques, sociaux et écologiques, nous aurons besoin d’une jeunesse la mieux formée. Il est urgent de rebâtir un service public de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche par la création d’au moins quatre nouvelles universités. Il est urgent d’investir massivement dans nos universités et centres de formations publics dans le cadre d’un plan pluriannuel de recrutement pour retrouver le taux d’encadrement d’il y a 20 ans dans les universités. Les jeunes ne seront jamais le problème, mais toujours la solution. Exclure du système scolaire sur un principe de sélection sociale va à l'encontre des besoins d’une société qui doit aller de l’avant.

Léna Raud, secrétaire nationale de l’Union des étudiants communistes,
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF,
Le 24 octobre 2024.

samedi 26 octobre 2024

Fermetures de sites, plan de licenciements : chez Michelin, l’intersyndicale exige des réponses de la direction


 Les syndicats CGT, SUD, CFE-CGC et FO du fabricant de pneumatiques ont annoncé suspendre toute participation aux discussions avec la direction tant qu’aucune réponse claire n’aura été apportée concernant l’avenir de trois sites. Ces derniers, concernés par une baisse de production, font craindre une vague de licenciements.

Les discussions entre la direction de Michelin et l’intersyndicale (CGT, SUD, CFE-CGC et FO) sont au point mort. Les représentants syndicaux ont annoncé qu’ils refusaient désormais de participer aux réunions avec la direction du leader mondial de fabrication des pneumatiques. En cause : l’absence de réponses quant à l’avenir des sites de Cholet (Maine-et-Loire), Vannes (Morbihan) et Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire), où travaillent respectivement 968, 300 et 163 salariés.

L’intersyndicale réclame depuis plusieurs mois des éclaircissements sur la situation de ces trois usines. Dès avril, le comité social et économique (CSE) avait activé un droit d’alerte, une procédure permettant de demander des explications formelles à la direction en cas de menace pesant sur la pérennité des emplois ou de l’activité. Cette mesure a été motivée par la baisse continue de la production observée dans ces trois sites, amenant les syndicats à solliciter les intentions de la direction.

Faute de réponse concrète, le CSE central a mandaté en juin le cabinet indépendant Secafi, spécialiste des instances représentatives du personnel, pour mener une étude approfondie sur l’état des usines concernées. Le rapport remis par l’expert a confirmé les inquiétudes.

Sur le site de Vannes, la production a chuté de 40 % entre 2021 et 2025, une tendance similaire étant observée à Cholet entre 2019 et 2025. Quant à l’usine de Joué-lès-Tours, elle a perdu la moitié de sa production de tissus. À la lumière de ces données, le CSE a voté à l’unanimité en faveur de la prolongation du droit d’alerte, entraînant la saisie du président du groupe, Florent Menegaux.

Inquiétude des salariés

La direction a réagi dans les jours suivants, mais de façon jugée insuffisante par les syndicats. « La direction nous a indiqué qu’elle réfléchissait à proposer une date de réunion dans la semaine prochaine. Mais ils n’ont pas pris la mesure de l’urgence. Ils veulent gagner du temps alors que les salariés sont en souffrance », déplore Nicolas Robert, représentant Sud au CSE central. Le blocage des discussions a donc été décidé par l’intersyndicale comme une nouvelle forme de pression sur la direction.

Alors que ces trois sites ont déjà subi une réduction de leurs effectifs allant de 28 à 35 %, les salariés craignent que la baisse de production entraîne une nouvelle casse sociale, voire une fermeture complète de leurs usines. « Les salariés sont laissés dans un désarroi complet. Ils interprètent tout de façon extrême et pensent que la moindre réunion est pour annoncer la fermeture », témoigne David Goubault, secrétaire CGT à Cholet.

Une inquiétude qui dépasse les seuls sites de Cholet, de Vannes et de Joué-lès-Tours. L’ensemble des salariés du groupe Michelin est en alerte, notamment sur les sites du Puy-en-Velay (Haute-Loire) et de Troyes (Aube), également touchés par une baisse de production. « Même dans le secteur tertiaire, on a une inflation de la demande d’accompagnement », souligne José Tarantini, délégué central CFE-CGC, car « une diminution de la production de pneus entraîne inévitablement des suppressions d’emploi dans nos services ».

Ce refus d’informer semble en décalage avec l’image que Michelin s’efforce de projeter. « La direction se présente comme un employeur modèle, mais refuse de clarifier les conséquences de ses choix stratégiques », critique José Tarantini. En avril, le groupe communiquait sur ses « innovations sociales », mettant en avant le concept de « salaire décent » pour améliorer le niveau de vie des salariés.

Mais, pour Nicolas Robert, ces annonces préparaient déjà les salariés aux restructurations qui vont certainement advenir. « Cela fait des mois qu’on nous prépare à des pertes d’emploi, en nous répétant que l’entreprise a toujours su s’adapter, que c’est un organisme vivant et que le groupe accompagne les salariés individuellement. »

Les choix de la direction pointés du doigt

Si les syndicats admettent le contexte difficile du marché de l’automobile au niveau européen pour expliquer la baisse de production, ils pointent également les choix stratégiques opérés par le groupe Michelin, accusé de privilégier la délocalisation vers des pays à faible coût salarial. « À Cholet on a cette année 5 ou 6 milliards d’investissement, contre 95 milliards d’euros dans une entreprise polonaise qui fabrique exactement les mêmes produits », dénonce David Goubault. Un choix d’autant plus incompréhensible selon lui que Michelin enregistre des résultats financiers records. « Année après année, nous battons des records de chiffre d’affaires », poursuit-il.

Les difficultés du marché de l’automobile devraient donner lieu à des réflexions au sujet de la reconversion des usines en baisse de production, défend l’intersyndicale. Des réflexions auxquelles elle entend participer, pour proposer des alternatives qui permettraient de préserver les emplois.

Salon de l’auto : sauver la filière, miser sur la jeunesse

Alors que le Salon de l’Auto à Paris bat son plein, une question nous taraude : comment redresser l’industrie automobile française ?

Sur fond de délocalisation à la chaîne, de désindustrialisation chronique, de financiarisation de l’économie et de guerre commerciale avec la Chine, le secteur se porte mal en France, et plus largement en Europe.

Forvia, Valeo, Dumarey Powerglide, Inteva, Walor… Le nombre d’équipementiers automobiles annonçant des licenciements dans l’Hexagone est énorme. L’avance technologique que prennent les constructeurs chinois, notamment sur la bascule vers l’électrique, inquiète au plus haut point. « Ils ont 10 à 15 ans d’avance sur les Européens », reconnaît Luc Chatel, directeur de la plateforme de l’Automobile (PFA). En Chine, l’État planifie la production et met en place une stratégie intégrée, c’est-à-dire que les grandes entreprises contrôlent toute la production, de la matière première à la livraison au client.

En France, nous faisons exactement l’inverse en sous-traitant, notre industrie automobile pullule d’équipementiers.

C’est certain, le virage vers l’électrique va nécessiter des changements stratégiques dans l’industrie automobile. Aujourd’hui, force et de constater que nous sommes incapables de regarder plus loin que le bout de notre nez, en laissant faire les entreprises qui elles réfléchissent avant tout à la rentabilité.

Nous avons besoin d’un État stratège pour sauver notre industrie, c’est vrai bien au-delà de la voiture, comme le montre le scandale du Doliprane et de Sanofi. La jeunesse est prête à prendre toute sa place dans ces réflexions, il s’agit tout de même de l’avenir du pays !

Chaque année, 600 000 lycéens s’orientent vers des filières professionnelles. Revalorisons-les ! En 2024, Parcoursup a encore désorienté des tonnes de jeunes. 47 000 jeunes se sont même retrouvés sans solution. Si nous voulons une industrie qui se tient debout, nous allons avoir besoin d’avoir la jeunesse la mieux formée possible. Ayons de l’ambition pour nos filières générales comme professionnelles, planifions, formons. C’est la condition sine qua non pour pouvoir prétendre jouer dans la cour des puissances industrielles.

Assan Lakehoul

secrétaire général du MJCF

Article publié dans Communistes n°1015 - 23/10/2024

 

vendredi 25 octobre 2024

Budget 2025 : face à l’austérité, le PCF oppose l’investissement


 En plein débat parlementaire, Fabien Roussel a présenté le contre-budget du PCF. Avec un objectif : changer de logique en faisant le choix de l’emprunt pour créer les recettes de demain.

Dans les discussions autour du budget 2025, il y a deux camps. D’abord, celui de l’austérité, représenté par le gouvernement, ses troupes et le Rassemblement national. Il n’a qu’un mot en tête : économies. En particulier du côté des services publics.

Avec une logique claire, selon Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Celle de Don Salluste, personnage incarné par Louis de Funès dans la Folie des grandeurs : « Les pauvres, c’est fait pour être pauvre. Et les riches, très riche. » Puis il y a le camp de la recherche de recettes supplémentaires, en particulier chez les plus fortunés, largement épargnés par sept ans de macronisme.

Au sein du Nouveau Front populaire (NFP), les communistes entendent aller plus loin que ce clivage dépenses/recettes en ajoutant une autre donnée : l’investissement. Ce mercredi 23 octobre, depuis son siège parisien de la place du Colonel-Fabien, le parti a présenté son propre « contre-budget »« Nous comptons renouer avec l’esprit qui a permis de sortir notre pays des difficultés immenses de l’après-guerre », annonce Jean-Marc Durand, membre de la commission économique du PCF.

« Il faut agir sur les aides publiques versées aux grandes entreprises »

Comment ? « Il y a quatre manières de faire un budget, relève Fabien Roussel. En agissant sur la fiscalité, en baissant les dépenses, en empruntant, ou encore par la création monétaire. » Si ce dernier levier est dans les mains de la Banque centrale européenne (BCE) et que le tout premier est largement investi par les propositions du NFP, reste donc deux champs à conquérir « avec ambition ».

Celui des économies, que le PCF n’entend pas laisser à la droite : « Il faut agir sur les aides publiques versées aux grandes entreprises, notamment la niche Copé (qui permet aux entreprises de bénéficier de l’exonération sur les plus-values – NDLR) ou le crédit d’impôt recherche, en réorientant les 200 milliards d’aides à partir de critères sociaux et environnementaux. » Mais aussi et surtout celui de l’emprunt, atout majeur pour permettre des investissements massifs, jure le secrétaire national du PCF.

« Notre pays doit se donner les moyens de faire des investissements immenses dans les dix ans à venir, poursuit Fabien Roussel. Il nous faut embaucher et former des centaines de milliers d’agents publics pour nos écoles, la sécurité, la santé, la recherche, les Ehpad… Notre objectif est de réaliser 50 000 embauches dès 2025 avant d’atteindre 600 000 agents publics supplémentaires en 2030. Mais nous entendons aussi, dans le même temps, reconstruire une véritable stratégie industrielle qui permettra de relocaliser 2 millions d’emplois. Cette nouvelle ère industrielle devra répondre aux urgences sociales et climatiques. »

Constitution d’un pôle public bancaire

Pour permettre les embauches massives dans la fonction publique, le PCF projette de recourir à des « prêts bonifiés » et à la « constitution d’un pôle public bancaire constitué de La Banque postale et la Caisse des dépôts »« Ce pôle peut permettre ce financement : la Caisse des dépôts pouvant emprunter auprès de la BCE », précise Jean-Marc Durand.

Et pour permettre un renouveau industriel, même logique, en accordant aux entreprises, via ce pôle, des prêts à taux zéro, « voire négatifs », sur critères sociaux et environnementaux. « L’État prendra à sa charge les intérêts de ces prêts à hauteur de 8 milliards d’euros, promet le secrétaire national du PCF. Ces deux mesures vont permettre de créer de la richesse, des emplois, de la consommation saine et efficace. »

Le but : « Créer une croissance saine socialement et écologiquement », explique Jean-Marc Durand, qui parviendra à « résorber le déficit à l’horizon 2030 »« Comme le permet le pacte de stabilité, nous traçons une trajectoire sur sept ans pour atteindre cet objectif, prolonge-t-il. Bien sûr, en 2025 et 2026, le déficit se creusera, passant de 5,5 % en 2024 à 8,5 % en 2026. Mais cet investissement augmentera à tel point le PIB qu’il réduira fortement le déficit dès l’année suivante, avant de revenir à l’équilibre en 2030 (0,2 %). »

Un projet que Fabien Roussel promeut comme un « pacte avec la jeunesse »« Par ce budget, nous entendons garantir un emploi bien rémunéré à chaque jeune qui correspondra à ses diplômes, précise-t-il. L’heure n’est pas à se serrer la ceinture, à brider les emplois et les salaires. Au contraire : il faut investir sur la base de critères sociaux et écologiques au service de l’être humain, de la planète et des besoins de notre pays. » Tout le contraire du projet gouvernemental.