C’est une belle matinée de début d’automne dans la campagne viterboise, à une centaine de kilomètres au nord de Rome. Sur les chemins, la récolte des châtaignes a débuté. Pour moi, le commencement d’un week-end tant attendu avec mes proches. Au milieu des cafés, le téléphone posé sur la table, vibre. Les messages n’en finissent plus d’arriver. Ils proviennent de journalistes de grands médias souhaitant couvrir la vente du Doliprane par la firme Sanofi à un fonds américain. « Nous souhaitons vous inviter à notre émission spéciale Doliprane. » Deux semaines plus tôt, Jérôme Martin et moi avions annoncé la fin de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds).
Tout d’un coup, il m’apparaît fou que tant de personnes soient si sensibles à un symbole, et en particulier au destin d’une marque déposée, le Doliprane, dont le brevet sur la molécule, le paracétamol, est tombé dans le domaine public depuis la fin des années 1990, laissant la possibilité à de multiples producteurs de la commercialiser. D’ailleurs, en dehors du monde francophone, personne ne connaît la marque Doliprane, et les Américains parlent même d’acétaminophène plutôt que de paracétamol pour sa dénomination commune internationale (DCI).
Pourquoi les recommandations de la commission d’enquête du Sénat qui avait enquêté sur les pénuries à répétition dans l’Hexagone, sont restées sans suite ?
Cette vente représente un symbole fort, certes, mais dit peu de choses des capacités de production réelles de cette molécule sur le sol français, y compris de ses principes actifs pharmaceutiques (API), ni du nombre de ses producteurs enregistrés auprès de l’agence du médicament. Autrement dit, sans production nationale des principes actifs, on reste dans la dépendance des pays producteurs, souvent asiatiques – comme la situation de 2020 l’avait montré – et les pénuries sont inévitables.
Depuis très longtemps, Sanofi s’est délesté de la plupart de ses outils de production et unités de recherche. Il serait donc pertinent de regarder plutôt du côté des engagements gouvernementaux de 2020 et du plan France relance, et les promesses de relocalisation d’une production en France, y compris d’API. Il serait bon également de se demander pourquoi, des années après les premières propositions de loi déposées sur la question, l’idée d’un pôle public du médicament est au point mort, ou encore pourquoi, près d’un an et demi après son adoption, les recommandations de la commission d’enquête du Sénat sur les politiques pharmaceutiques, qui avait enquêté sur les pénuries à répétition dans l’Hexagone, sont restées sans suite.
En cinq ans d’existence d’OTMeds, nous avons alerté sur les ruptures et pénuries de médicaments en tout genre. Des antibiotiques à large spectre comme l’amoxicilline, des anticancéreux, insulines, antirétroviraux, pilules abortives, produits sanguins… toutes les classes thérapeutiques sont concernées. Il est donc curieux que ce qui parle le plus aux médias aujourd’hui soit la vente par une multinationale d’une marque dont celle-ci est propriétaire. Rien de plus courant dans un système financiarisé et néolibéral.
Les politiques de santé en France méritent mieux que des débats superficiels. Pourtant, le temps nous l’a montré, à part une poignée d’entre eux (dont l’Humanité, qui y a souvent consacré des dossiers de fond), les médias restent à la surface sur ces questions. Ils font partie du problème. On ignorera donc les vibrations du téléphone et on profitera de la chance d’être entouré par cette nature si dense et sauvage et par ses proches que l’on aime tant, loin de l’agitation et des impostures de la place publique parisienne.
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