dimanche 27 octobre 2024

« Les Israéliens pensent que la seule solution pour vivre en sécurité, c’est la guerre »


 Que pensent les Israéliens ? De la guerre, à Gaza puis au Liban. Des crises politiques et économiques qui s’enchaînent. D’une société qui se radicalise. On en a causé avec Nitzan Perelman.

Nitzan Perelman est doctorante en sociologie politique à l’Université Paris-Cité, cofondatrice du site yaani.fr qui analyse les sociétés palestinienne et israélienne.

Regards. Voilà plus d’un an que la situation au Proche-Orient a basculé dans un nouveau niveau de violence. Qu’est-ce qui a changé depuis le 7 octobre 2023 au sein de la société israélienne ?

Nitzan Perelman. En soi, il n’y a rien de nouveau dans cette situation. Les Israéliens ont l’habitude de ces moments de tension – même si cette séquence est très longue. Depuis sa création, Israël est en état d’urgence, quand il n’est pas en guerre. Les Israéliens n’ont jamais rien connu d’autre, au point que même les accords de paix avec la Jordanie et l’Égypte ne sont pas pris au sérieux. Mais il est vrai que le 7-Octobre a été un très grand tournant dans la région et un point de radicalisation et de fracture. Tous les phénomènes que l’on observe aujourd’hui étaient déjà présents dans la société israélienne, ils sont simplement exacerbés. Il faut se rappeler qu’en décembre 2022, quand le gouvernement accède au pouvoir, ils avaient des objectifs très clairs concernant la colonisation de la Cisjordanie et, en mars 2023, ils ont abrogé la loi sur le désengagement de Gaza qui interdisait la construction de colonies.

Tout de suite après le 7-Octobre, il y a eu cette impression que l’armée israélienne, qui est l’institution en laquelle les Israéliens ont le plus confiance, ne fonctionnait plus. C’est un changement d’ampleur parce qu’en Israël, la sécurité est la première des priorités. Cette image d’une armée puissante, dont le renseignement se veut un des plus efficaces au monde, a été brisée. Mais depuis, notamment avec les assassinats des leaders du Hamas et du Hezbollah, cette image est restaurée.

Existe-t-il encore une opposition à Benyamin Netanyahou ou assiste-t-on à une sorte d’union sacrée, à l’extrême droite toute ?

Il y a une très forte opposition à Netanyahou, mais il faut comprendre sur quoi elle repose. Avant le 7-Octobre, cette opposition se basait sur la contestation de la réforme judiciaire, l’alliance du Likoud avec l’extrême droite. Maintenant, l’opposition est concentrée sur la libération des otages, considérée par Netanyahou et ses ministres comme moins prioritaire que l’occupation de Gaza ou la destruction du Hamas.

Pourtant, les manifestations se sont multipliées depuis – début septembre, ce sont plus de 500 000 personnes qui défilaient à Jérusalem. Est-il question de paix dans les revendications de ces Israéliens ?

S’il est question de cessez-le-feu, c’est uniquement pour la libération des otages, aucunement pour cesser la guerre. La paix, le sort des Palestiniens ne sont pas du tout évoqués. Les familles des otages ont fait une campagne dont le slogan était « On les ramène d’abord, on y retourne après ». Autre élément de compréhension de l’état d’esprit des Israéliens : un sondage, publié fin avril, montrait que seulement 4% des juifs israéliens considèrent que la guerre est allée trop loin. Concernant la guerre avec le Liban, le soutien est plus large encore. Même le centre et la gauche sioniste sont très impliqués – on a dit que la gauche s’est « réveillée » le 7-Octobre. On voit par exemple Yaïr Golan, président du parti Les Démocrates, qui a très clairement exprimé son opposition au cessez-le-feu et son soutien à la guerre au Liban.

Depuis sa création, Israël est en état d’urgence, quand il n’est pas en guerre. Les Israéliens n’ont jamais rien connu d’autre. Plus personne ne pense que la paix est possible.

La nouveauté par rapport aux précédents conflits, c’est que l’extrême droite est dans la coalition au pouvoir et ses ministres poussent pour accentuer les tensions avec tous les pays voisins. Netanyahou aussi utilise ce sentiment de peur et de guerre permanente pour rester au pouvoir. Les plus modérés n’échappent pas à cette idée et plaident pour le droit d’Israël à se protéger. Le centre et la gauche sioniste n’appellent pas faire la guerre, mais ils la soutiennent au nom de la sécurité.

Des dizaines de milliers d’entreprises ont fait faillite depuis le 7-Octobre. Le pouvoir a basculé à l’extrême droite. La guerre est à chaque frontière. Et c’est normal pour les Israéliens ?

C’était déjà très compliqué avant le 7-Octobre. En 2011, il y a eu une crise économique et des manifestations très importantes contre le coût de la vie. Entre 2019 et 2021, il y a eu une crise politique où Israël a connu quatre élections législatives sans majorité. Quand, en 2022, Netanyahou a fini par former sa coalition avec l’extrême droite, il subit une énorme contestation contre la réforme judiciaire. Puis arrive le 7-Octobre, le choc de l’attaque, la durée du conflit, le nombre de réservistes mobilisés, la situation économique qui s’enfonce, le fait qu’il y a énormément de déplacés… Non, ça n’est pas normal pour les Israéliens, le sentiment d’insécurité et de fatigue est plus important que jamais. Mais, encore une fois, ça n’est pas un changement, c’est une radicalisation. Plus personne ne pense que la paix est possible et, donc, la seule solution pour que les Israéliens soient en sécurité, c’est la guerre.

Arrivez-vous à imaginer, d’ici un an, ou peut-être plus, une issue pacifique à cette guerre ?

Je suis assez pessimiste. On voit très clairement où veut aller le gouvernement Netanyahou. Le Likoud et ses alliés d’extrême droite – Otzma Yehudit et le Parti sioniste religieux – ont organisé un événement pour la recolonisation de Gaza. Ça ne se fera peut-être pas d’ici un an, mais ils vont mettre en place le « plan des généraux », c’est-à-dire évacuer la population, détruire ce qu’il reste à détruire et occuper militairement Gaza. La construction des colonies viendra dans un second temps. Concernant le Liban, la même idée commence à germer. Parce que cette guerre ne ressemble pas aux opérations précédentes, plus ponctuelles entre deux moments de normalisation. On voit désormais des gens comme Daniella Weiss, une figure emblématique du mouvement des colons, appeler à la colonisation du Sud du Liban. Au sein du gouvernement, on évoque plutôt l’importance de contrôler militairement cette région. Je ne sais pas si c’est possible, mais ça n’est pas improbable.

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