Adham Hassouna, journaliste palestinien, est mort dans un bombardement aérien qui a frappé sa maison. Tout comme Mohamed Abu Hatab. Ayat Omar Khadora a, quant à elle, été touchée lors d’un duplex en direct à la télévision. Yasser Murtaja et Ahmed Abu Hussein ont été victimes de missiles visant les tours al-Shorouk et al-Jawhara, à Gaza, où s’étaient abritées plusieurs rédactions.
Ils étaient à l’honneur d’une exposition accrochée place de l’État de Palestine, à la Fête de l’Humanité. Nasser Abu Baker les connaissait tous. En tant que journaliste, il a travaillé avec eux. En tant que secrétaire général du Syndicat des journalistes palestiniens, il se doit de perpétuer leur mémoire. À l’évocation de chacun d’eux, il maîtrise son émotion. Le regard est grave, hanté par les souvenirs.
Le visage est fermé, marqué par le poids des morts. Pas le droit de s’apitoyer : cela reviendrait à les tuer une seconde fois, eux qui ont exercé leur métier jusqu’à la fin, sous les tirs de l’armée israélienne. « Lorsque Ahmed est arrivé à l’hôpital de Ramallah, il m’a dit que tout allait bien malgré ses blessures, raconte par exemple Nasser Abu Baker. Je suis allé chercher sa mère le plus rapidement possible. Le temps que nous arrivions, il était mort. »
Journaliste malgré les tirs, les bombes et la colonisation
Son rôle était de les protéger ; sa tragédie est de leur avoir survécu. « Ma responsabilité est énorme. Je n’ai pas les moyens qui me permettent d’arrêter cette guerre et de protéger les journalistes sur le terrain ! lance-t-il. Nous finirons tous avec une balle dans la tête ! » Ne lui reste que la frustration et l’agacement face à une situation sur laquelle il n’a aucune prise.
Le massacre en cours dans la bande de Gaza est le plus meurtrier pour les journalistes depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de 130 victimes, selon l’ONG Reporters sans frontières, contre 56 journalistes décédés entre 2000 et 2023. Ils étaient environ 200 sur place avant le 7 octobre 2023.
Nasser Abu Baker a commencé sa carrière de journaliste en 1993. De quoi être le témoin des nombreuses attaques qui visaient la profession. Il a couvert la seconde Intifada (2000-2005) et la nouvelle vague de colonisation des territoires palestiniens par le gouvernement israélien. « La période la plus dangereuse pour moi, durant ma carrière de journaliste, résume-t-il. J’ai été blessé à plusieurs reprises. »
Une date reste inscrite dans sa mémoire : le 11 juillet 2002. « Ce jour-là, Imad Abu Zahra, un collègue, est blessé à mes côtés, se souvient-il. Malgré le gilet annonçant qu’il était journaliste, l’armée israélienne lui a tiré dessus. » Touché à la jambe, Imad Abu Zahra a dû attendre plusieurs dizaines de minutes au sol, alors que les tirs se poursuivaient, avant d’être finalement transporté vers un hôpital de Jénine, en Cisjordanie. Il a succombé à ses blessures le lendemain.
Une tournée européenne afin d’alerter sur la situation de ses consœurs et confrères
Près d’une décennie plus tard, la carrière de Nasser Abu Baker a connu un tournant inattendu. Correspondant de l’Agence France-Presse (AFP) à Ramallah, en Cisjordanie, il est licencié en 2021. « Cette décision intervient après les campagnes d’incitation successives contre lui, au vu de ses positions et de son action syndicale », dénonçait alors le Syndicat des journalistes palestiniens.
Fini le journalisme qu’il a pratiqué pendant plus de trente ans, place à un nouveau terrain : celui des institutions politiques. Vice-président de la Fédération internationale des journalistes, Nasser Abu Baker s’est lancé, ces derniers mois, dans une tournée européenne afin d’alerter sur la situation de ses consœurs et confrères à Gaza et en Cisjordanie.
Cette même Europe qui ferme les yeux sur le massacre en cours, qui a livré des armes au gouvernement israélien, où nombre de médias mettent en doute la probité et la déontologie des rares journalistes palestiniens vivants, persuadés qu’ils sont à la botte du Hamas.
Quand vient le moment d’aborder ce manque de confiance, la carapace de Nasser Abu Baker se fend : « Ils n’ont rien à envier aux journalistes français, états-uniens ou canadiens. Qu’ils soient interdits de pratiquer leur métier et que l’on considère qu’ils font de la propagande est une honte. » La froideur de l’endeuillé laisse place à la fureur du survivant.
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