Vous êtes née en janvier 1918 à Paris, une époque où les bombardements étaient craints sur la capitale…
Mes
parents travaillaient à Paris : mon père était sommelier et ma mère,
une Belge Wallonne, était caissière. À ma naissance, et jusqu’à
l’armistice, j’ai été placée en nourrice, à Montargis. Ma mère craignait
les bombardements par la grosse bertha […] Nous étions une famille de
commerçants, pas plus engagés que cela politiquement. En revanche, ma
mère tenait à mon éducation religieuse. J’ai été baptisée mais j’ai
cessé d’aller à la messe quand j’ai été en âge de réfléchir par
moi-même. Ensuite, nous sommes partis à Rouen en 1926.
1935, c’est une autre date importante pour vous.
C’est
l’année où j’entre à l’École normale d’Institutrices de Rouen (première
au concours d’entrée, ndlr), j’avais 17 ans. Intégrer cette école,
c’était aussi intéressant financièrement : les élèves, internes pendant
trois ans, étaient logés, nourris. J’ai aimé cette époque car j’avais
des professeurs sympathiques, communisants aussi (rires), qui m’ont
beaucoup élargi l’esprit avec leurs idées autour de la solidarité, la
liberté, la justice.
Puis vous sympathisez avec des communistes…
Avec
cinq amies normaliennes, nous avions sympathisé avec des communistes,
et faisions partie d’un groupe, informel, où nous discutions du monde… À
l’école normale, il était interdit de faire de la politique et encore
moins du syndicalisme. Nous discutions le soir, après le repas, mais nos
réunions ont été découvertes… Nous étions passibles de renvoi ! Tout ce
que l’on lisait, y compris les journaux, était contrôlé […] On avait
une directrice très autoritaire […] Un jour, elle a voulu annuler un
voyage de fin d’année pour lequel nous demandions une participation aux
élèves. Quand je l’ai su, j’ai pris la décision de rembourser aux élèves
la part qu’ils avaient versée. Quand la directrice a appris cela, elle
m’a convoquée. Alors que je commençais à lui dire “Je pensais que”, elle
m’a répondu “Mademoiselle, vous n’avez pas à penser. Ici, c’est moi qui
pense…” Cela a été, je pense, un des éléments fondateurs dans ma vie.
« Je suis déçue de la société actuelle » « Je suis plutôt déçue de la
société actuelle. Je pensais qu’on allait aller vers une société de
solidarité, de liberté, de justice mais c’est tout le contraire. Et avec
les lois travail, maintenant… Le mode de vie actuel fait que les gens
se renferment de plus en plus sur eux-mêmes. Nous sommes dans une
société très individualiste où l’on ne se préoccupe pas beaucoup de son
voisin. Mais s’il n’y a pas de solidarité, ça ne peut pas avancer !
Regardez la situation des migrants. Ce sont des gens qui fuient la
guerre ou la misère, souvent les deux. Il est normal de les accueillir
dignement. J’étais de celles et ceux qui sont allés voir les migrants
sur le campus en décembre dernier. Il faut intervenir, c’est
important ».
À 25 ans, le FTP (Francs-tireurs partisans) vous demande d’être agent de liaison…
Oui
et je n’ai pas hésité. À ce moment-là, je passe d’une Résistance civile
à une Résistance armée où je deviens, en quelque sorte, complice
d’actes militaires. Je transportais des documents et aussi des armes […]
Un jour, en gare de Rouen, un contrôle monstre est organisé et tous les
bagages sont fouillés, même ceux des femmes, ce qui ne se faisait pas
habituellement. Or, je transportais deux revolvers dans une mallette.
J’ai alors raconté que j’étais allée apporter des provisions dans ma
famille et que, comme j’étais bien chargée, un voyageur m’avait proposé
de porter mes provisions et que moi, je l’avais débarrassé de sa
mallette… J’ai été amenée au commissariat où j’ai été interrogée.
C’était en décembre 1943. J’ai été déférée devant un juge, internée
ensuite à la prison Bonne nouvelle de Rouen pendant quatre mois. Ce
n’était pas drôle, bien sûr, et le risque, surtout, c’était la
déportation… En mars 44, je suis libérée sans jugement (un bombardement
aérien anglais détruit le centre nazi et tous les interrogatoires). Je
retrouve un poste d’enseignante à Quincampoix (Seine-Maritime) en mars,
je me tiens tranquille quelques semaines. Après le Débarquement, je
reprends le service résistant, dans la clandestinité complète cette
fois, et je préviens mon inspecteur d’académie qu’il n’allait pas me
voir beaucoup (rires)… J’édite alors les tracts et les journaux
clandestins jusqu’à la libération de Rouen en août 1944.
« Je suis déçue de la société actuelle » « Je suis plutôt déçue de la
société actuelle. Je pensais qu’on allait aller vers une société de
solidarité, de liberté, de justice mais c’est tout le contraire. Et avec
les lois travail, maintenant… Le mode de vie actuel fait que les gens
se renferment de plus en plus sur eux-mêmes. Nous sommes dans une
société très individualiste où l’on ne se préoccupe pas beaucoup de son
voisin. Mais s’il n’y a pas de solidarité, ça ne peut pas avancer !
Regardez la situation des migrants. Ce sont des gens qui fuient la
guerre ou la misère, souvent les deux. Il est normal de les accueillir
dignement. J’étais de celles et ceux qui sont allés voir les migrants
sur le campus en décembre dernier. Il faut intervenir, c’est
important ».
En juin 1940, l’armée allemande entre en France par les Ardennes.
J’habitais
avec mes parents à Rouen. J’avais de la famille dans les environs qui
nous avait dit que si ça allait mal à Rouen, il fallait venir se
réfugier chez elle. Alors, avec mes parents et des voisins, on s’est mis
en route, le long de la Seine, pour aller au Val-de-la-Haye. Pour y
aller, il fallait traverser une forêt. Alors que nous progressions dans
les bois, un avion à bombardement a mis le feu à la forêt. Nous avons pu
nous enfuir mais nous nous sommes retrouvés embarqués avec le flot des
réfugiés qui prenaient la direction du sud, vers Alençon […] Puis nous
avons été rattrapés et il ne nous restait plus qu’à retourner chez nous
en espérant que nos maisons soient encore debout […] Nous sommes rentrés
et nous avons subi l’Occupation. C’était l’horreur. Le quotidien
n’était que contraintes avec des règlements pour tout, pour circuler
surtout… J’étais institutrice à Dieppe, le drapeau à la croix gammée
était sur tous les établissements publics, les pancartes étaient en
langue étrangère, les policiers et les soldats étaient dans les rues.
Dans les foyers, on manquait de tout. Dans les écoles, je pouvais voir
les effets du rationnement sur le visage des élèves. Le chauffage était
éteint la nuit et lorsque l’on entrait en classe le lendemain matin,
l’encre était encore gelée […] Il y avait beaucoup de marché noir car
les Allemands raflaient pour leur compte l’alimentation de production
française et, pour les civils français, il ne restait plus grand-chose.
« Je suis déçue de la société actuelle » « Je suis plutôt déçue de la
société actuelle. Je pensais qu’on allait aller vers une société de
solidarité, de liberté, de justice mais c’est tout le contraire. Et avec
les lois travail, maintenant… Le mode de vie actuel fait que les gens
se renferment de plus en plus sur eux-mêmes. Nous sommes dans une
société très individualiste où l’on ne se préoccupe pas beaucoup de son
voisin. Mais s’il n’y a pas de solidarité, ça ne peut pas avancer !
Regardez la situation des migrants. Ce sont des gens qui fuient la
guerre ou la misère, souvent les deux. Il est normal de les accueillir
dignement. J’étais de celles et ceux qui sont allés voir les migrants
sur le campus en décembre dernier. Il faut intervenir, c’est
important ».
En octobre 1940, vous rencontrez Valentin Feldman, un personnage qui va compter dans votre parcours militant.
Il
était professeur au lycée de Dieppe. On se retrouvait, une fois par
semaine, dans le train, pour faire Dieppe-Rouen, et lui allait jusqu’à
Paris. On avait sympathisé et nous partagions les mêmes opinions
vis-à-vis de l’Occupation et de l’occupant. J’en ai donc conclu qu’il
avait des accointances avec le PCF et avec la Résistance (rires). Il
avait créé le Front national de lutte pour l’indépendance et la liberté
de la France qui s’est appelé ensuite Front national de la Résistance. À
cette époque, j’intègre ce mouvement mais aussi le PCF car, pour moi,
les deux ne faisaient qu’un.
En septembre 41, vous accueillez chez vous une institutrice qui vient avec son imprimerie clandestine…
Elle
m’a été envoyée par Valentin Feldman car je lui avais dit, malgré les
risques et les contraintes, que je voulais aider. Elle imprimait des
tracts pour “L’Avenir Normand”, un périodique du Parti communiste
clandestin. En 1942, des perquisitions ont lieu chez mes parents par la
police française de Vichy. J’ai raconté alors que mon amie était en
froid avec sa famille au Havre et que c’est la raison pour laquelle je
l’hébergeais. J’ai été interrogée et ça s’est terminé pas trop mal… Il
faut dire que j’avais l’air d’une gamine ! Quelques semaines plus tard,
j’apprends que Valentin Feldman a été fusillé au Mont-Valérien.
L’information est venue des réseaux car, au fil du temps, la Résistance a
gagné du terrain.
« Je suis déçue de la société
actuelle » « Je suis plutôt déçue de la société actuelle. Je pensais
qu’on allait aller vers une société de solidarité, de liberté, de
justice mais c’est tout le contraire. Et avec les lois travail,
maintenant… Le mode de vie actuel fait que les gens se renferment de
plus en plus sur eux-mêmes. Nous sommes dans une société très
individualiste où l’on ne se préoccupe pas beaucoup de son voisin. Mais
s’il n’y a pas de solidarité, ça ne peut pas avancer ! Regardez la
situation des migrants. Ce sont des gens qui fuient la guerre ou la
misère, souvent les deux. Il est normal de les accueillir dignement.
J’étais de celles et ceux qui sont allés voir les migrants sur le campus
en décembre dernier. Il faut intervenir, c’est important ».
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