Défenseurs
des droits de l’homme, intellectuels, universitaires et professionnels
de la culture de divers endroits du monde, de diverses disciplines et de
diverses orientations politiques, souhaitons exprimer notre soutien au
processus de paix en Colombie.
Il
y a un an, le gouvernement colombien et la guérilla des FARC-EP ont
signé, après cinq années de laborieuses négociations, un Accord de Paix
destiné à mettre fin à plusieurs décennies de conflit armé et de
violence politique et sociale. Considéré par des observateurs
internationaux comme un modèle politico-juridique de sortie de l’état de
guerre, l’accord prévoyait le désarmement des forces insurgées et leur
transformation en mouvement politique, la réinsertion de leurs
combattants à la vie civile, ainsi que la mise en place d’un dispositif
de justice transitionnelle (la JEP) et d’une série de réformes
politiques, économiques et sociales relatives notamment à la politique
agraire et comprenant entre autres la redistribution de la terre, la
substitution des cultures de feuille de coca et le développement de
Zones de réserve paysannes (ZRC).
Un an après, le bilan de la mise en œuvre de l’Accord suscite
l’inquiétude des partisans et acteurs de la paix, colombiens et
internationaux. Si le nombre de personnes tuées en lien avec le conflit
armé a sensiblement diminué entre 2012 (début des pourparlers de paix)
et 2016, les assassinats de défenseurs des droits de l’homme, de leaders
sociaux et de combattants démobilisés des FARC se multiplient depuis la
signature de l’Accord. De nombreuses régions abandonnées par la
guérilla dans le cadre de la démobilisation ont été occupées par des
groupes paramilitaires d’extrême-droite. Entre le 24 novembre 2016 et le
31 octobre 2017, 94 homicides de leaders sociaux et de défenseurs des
droits de l’homme ont été perpétrés (une personne tuée tous les quatre
jours), tandis que 21 anciens combattants des FARC et 11 membres de
familles d’anciens guérilleros ont été assassinés.
Par ailleurs, des dispositions essentielles de l’Accord (aide à la
réinsertion des anciens combattants, mise en liberté des anciens
combattants en prison, justice transitionnelle ou JEP, réforme
politique, réforme rurale, Système Intégral de Vérité, Justice,
Réparation et Non Répétition, essentiel pour répondre à la souffrance
des victimes du conflit) n’ont pas pu encore être mises en œuvre ou ont
été modifiées unilatéralement par les pouvoirs publics ou encore ont été
purement et simplement supprimées. Ainsi, Jean Arnault, Président de la
Mission de Vérification des Nations Unies en Colombie, a signalé le 21
novembre 2017 les défaillances de l’État en matière de réinsertion, pour
laquelle il n’existe pas à l’heure actuelle de Plan cadre, au moment où
plusieurs milliers d’anciens guérilleros croupissent dans les 26
Espaces Territoriaux de Capacitation et de Réinsertion (ETCR). Devant
les promesses non tenues, plus de la moitié des 8000 démobilisés des
FARC présents en mai 2017 dans les zones de concentration ont quitté les
ETCR pour se rendre dans des lieux plus surs. Certains d’entre eux ont
rejoint des groupes dissidents qui entendent poursuivre la guerre ou
bien la guérilla de l’ELN, engagée depuis février 2017 dans un processus
de pourparlers avec le gouvernement.
Le non respect de points essentiels de l’Accord signé par les deux
parties, d’une part, et la recrudescence des assassinats et autres
formes de violence socio-politique, d’une autre, compromettent gravement
l’issue d’un processus de paix qui a été porteur de tant d’espérances
pour des millions de Colombiens. Nous observons ainsi avec inquiétude la
position de certains responsables de l’État, qui, contre tout évidence,
ont pu prétendre que les assassinats de leaders sociaux, de défenseurs
des droits de l’homme et d’anciens guérilleros démobilisés n’ont « aucun
caractère systématique » et que les groupes paramilitaires « n’existent
pas ». De même, la position ouvertement hostile à l’Accord de Paix
manifestée par certains candidats aux prochaines élections législatives
et présidentielles de 2018, contribue à diminuer les chances de la paix
et à déterminer la perspective d’un retour à un état de guerre qui, par
les frustrations accumulées dans la partie la plus vulnérable de la
société, risquerait d’atteindre des niveaux insoupçonnés de violence. En
ce moment où se joue l’avenir de la paix en Colombie, nous appelons la
communauté internationale à soutenir les efforts et à protéger les vies
de tous ceux qui, en Colombie, construisent jour après jour la paix par
leur pratiques sociales, politiques et culturelles. Nous en appelons en
particulier à la responsabilité de l’Union européenne, qui a appuyé le
processus de paix, envoyé un émissaire durant les pourparlers de La
Havane et soutenu, financièrement ou logistiquement de nombreuses
initiatives de paix sur le territoire colombien. Voir s’effondrer un tel
processus sans agir de la manière la plus ferme mettrait en péril le
sens même de son action dans cette région du monde. Ce qui se joue en
Colombie nous concerne tous.
Si vous souhaitez signer cette déclaration, veuillez transmettre
votre nom, profession et/ou filiation institutionnelle et nationalité à
l’adresse suivante :
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