Des
militants d’Attac se sont rassemblés hier à Paris avant l’audience du
tribunal de grande instance sur le référé qu’a déposé Apple pour
interdire les manifestations de l’ONG dans ses magasins. Stéphane de
Sakutin/AFP
La
multinationale du numérique Apple, qui optimise ses bénéfices en Europe
via Jersey et l’Irlande, veut mettre fin aux actions de l’ONG en la
tapant au porte-monnaie.
C’était
hier une journée à donner un torticolis au contribuable de passage au
palais de justice de Paris. D’un côté, Jérôme Cahuzac, ancien ministre
du Budget, comparaissait en appel pour ses 3,5 millions d’euros cachés
en Suisse (voir l’Humanité de lundi). De l’autre, les dirigeants d’Attac
étaient traînés par Apple devant le juge des référés du tribunal de
grande instance pour une courte audience avec décision mise en délibéré.
Ils sauront donc le 23 février si l’Association pour la taxation des
transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) sera
astreinte à payer 150 000 euros à chacune de ses nouvelles
manifestations dans un magasin de la marque à la pomme, pour dénoncer sa
politique d’évasion fiscale.
Cette plainte fait suite à l’action « festive, symbolique
et à visage découvert » du 2 décembre 2017 dans l’Apple Store d’Opéra, à
Paris. Une manifestation menée par les militants d’Attac pour obtenir
de la multinationale californienne qu’elle mette fin à sa politique
d’optimisation fiscale tous azimuts, et qu’elle s’acquitte d’un
redressement fiscal de 13 milliards d’euros, établi par la Commission
européenne en 2016 à l’encontre de ses pratiques abusives en Irlande,
son pays de domiciliation fiscale. Le coup d’éclat, mené avec force
déguisements et slogans joyeux, n’avait causé aucun dommage matériel,
mis à part l’emploi d’une peinture blanche à base de craie apposée sur
les vitrines symbolisant l’opacité de la société. Une peinture
facilement effaçable. Mais c’en était visiblement trop pour Apple, qui a
dénoncé dans son assignation un trouble « au fonctionnement de
l’activité commerciale des magasins à forte activité », ainsi que les
« menaces » d’autres actions à son encontre proférées par les
représentants de l’association lors d’une entrevue, le 18 décembre
dernier.
«C’est la première fois qu’ils portent plainte contre une ONG »
Hier, l’avocat d’Apple, qui a refusé de répondre à nos
questions, a insisté à l’audience sur le profond respect de la liberté
d’expression de l’entreprise, stigmatisant dans le même temps les
« mensonges » d’Attac quant à l’amende de 13 milliards d’euros. Pour
Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, cette procédure judiciaire
accélérée montre qu’« un pas a été franchi. C’est la première fois, à
notre connaissance, qu’ils portent plainte contre une ONG. C’est
clairement une procédure bâillon. Il s’agit de nous décourager en
réclamant l’équivalent d’un cinquième de notre budget pour chacune de
nos prochaines actions. Mais ça démontre qu’on a visé juste. Ça nous
encourage à continuer ».
Elle n’est visiblement pas la seule à y déceler un
encouragement. Une centaine de personnes étaient présentes hier au
rassemblement de soutien à Attac, regroupant des organisations
syndicales (CGT, FSU, Solidaires), politiques (FI, PCF, EELV, NPA) et
associatives (Crid, MNCP), toutes contre « les deux nouveaux produits
d’Apple : après l’I-Phone, l’I-Piquelepognon et l’I-Bâillon », sourit
Éric Beynel (Solidaires). « Il y a une inversion des rôles
insupportable. Ceux qui demandent le respect de l’intérêt général se
retrouvent sur le banc des accusés, s’offusque Sophie Binet (CGT). Le
gouvernement devrait être là pour faire respecter l’intérêt général. Où
est-il ? »
Monique Pinçon-Charlot est passée apporter son soutien à Attac
Ce dernier sera bien forcé de prendre position à
l’Assemblée nationale. « L’an dernier, nous avons fait voter l’idée
d’une COP fiscale pour mettre un terme à l’évasion fiscale. Le 8 mars,
les députés communistes porteront un projet de loi pour établir une
nouvelle liste des paradis fiscaux à placer sous contrôle citoyen »,
signale Isabelle de Almeida (PCF). Éric Coquerel (FI) liste des mesures
complémentaires à prendre : « Faire sauter le verrou de Bercy (qui
permet à l’administration des arrangements discrétionnaires avec les
fraudeurs – NDLR), imposer aux banques françaises de sortir des paradis
fiscaux, instaurer un même taux d’imposition pour les Français en France
et à l’étranger, comme le font les États-Unis, créer un délit
d’incitation fiscale et renforcer le nombre de fonctionnaires du fisc
pour accroître les contrôles. »
Scrutatrice scrupuleuse des mœurs des riches, Monique
Pinçon-Charlot est passée apporter son soutien à Attac, avant d’écouter
la défense de Cahuzac. « Pour moi, Apple ou Cahuzac représentent la même
chose : le vol des contribuables par l’oligarchie et leurs
multinationales, explique la sociologue. Mais gagner quelques batailles
contre eux, comme j’espère Attac face à Apple, ne nous permet pas de
gagner la guerre contre l’évasion fiscale. Car, à chaque fois, ils
trouvent une nouvelle parade. Ils n’auront bientôt plus besoin de
paradis fiscaux, puisque Trump a la volonté de faire des États-Unis le
plus grand paradis fiscal pour les sociétés comme pour leurs
actionnaires. Voilà pourquoi il faut mener un combat global contre cette
oligarchie. »
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