Pour le CAC 40, l’année 2023 s’annonce d’ores et déjà comme un grand millésime. Jusqu’ici, les plus grandes entreprises françaises ont enregistré plus de 120 milliards d’euros de bénéfices cumulés, alors que seuls 25 des 40 groupes ont annoncé leurs résultats. Cette dynamique est portée par quelques secteurs, parmi lesquels le luxe et l’automobile. Les deux constructeurs français affichent en effet une forme étincelante, ce qui ne va pas sans créer des remous au sein des équipes, en raison de la répartition annoncée de cette manne et des stratégies qui l’ont rendue possible.
Intéressement à géométrie variable
Commençons par Stellantis. Le mastodonte issu de la fusion, en 2021, de Fiat Chrysler Automobiles et de PSA, se félicite d’avoir réalisé 189,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, en hausse de 6 % par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, ses profits ont grimpé de 11 %, à 18,6 milliards d’euros. La marge du groupe frôle les 13 %, ce qui est rarissime dans le secteur (pour mémoire, celle de Volkswagen est deux fois plus faible).
Fort de ces résultats mirifiques, le groupe piloté par Carlos Tavares a annoncé que l’ensemble des salariés de Stellantis allaient se voir récompensés à hauteur de 1,9 milliards d’euros en participation et intéressement. En valeur absolue, le chiffre semble énorme, mais cela ne représente jamais que 10 % de l’ensemble des profits et, par ailleurs, l’enveloppe est en baisse par rapport à l’année précédente (où les salariés avaient perçu 2 milliards). Les actionnaires, eux, se voient récompensés à hauteur de 6,6 milliards d’euros sous forme de dividendes et rachats d’actions, soit une hausse confortable de 53 % par rapport à l’année précédente.
Dans les usines françaises, la pilule a du mal à passer. À Mulhouse, les syndicalistes jugent largement insuffisants les 4 100 euros de prime d’intéressement attribués. « Comment une société qui fait plus de bénéfices que l’année dernière peut donner moins d’intéressement », enrage Salah Keltoumi, délégué CGT interrogé par « France Bleu » (l’année dernière, les salariés ont touché 200 euros de plus). Cédric Brun, secrétaire CGT PSA Valenciennes, tient à nous rappeler que depuis quelques années, la courbe des primes d’intéressement grimpe beaucoup moins vite que celle des bénéfices : en 2021, par exemple, les profits ont été multipliés par 6,7, mais le montant moyen des primes n’a été multiplié que par 1,3.
Ces bons résultats ont été obtenus par une thérapie de choc mise en place dès la fusion : réduction drastique des coûts de structure visant à abaisser le seuil de rentabilité, mise en concurrence des salariés à travers la planète et chasse aux subventions publiques. Dans les deux premières années suivant la fusion, plus de 26 500 postes ont été rayés des effectifs totaux.
Vendre moins et plus chère
La stratégie est comparable chez Renault, pour des résultats un peu moins spectaculaires dans l’absolu, mais en très nette progression. Après des années de vache maigre, le groupe vient d’annoncer des résultats canons : un chiffre d’affaires en hausse de 17,9 %, à 52,4 milliards d’euros ; une marge de près de 8 % (+ 2,4 points) ; et des bénéfices de 2,3 milliards d’euros, alors que la marque avait affiché un trou de 716 millions l’année précédente.
Là encore, l’origine de ces bons chiffres n’a rien de mystérieux : depuis plusieurs années, le groupe s’est engagé dans une baisse massive de ses coûts de production, avec 6 600 suppressions de postes programmées en France depuis 2020. Dans le même temps, il a rompu avec une stratégie privilégiant les volumes de vente, au profit d’une stratégie misant sur la marge. Autrement dit, Renault n’a plus pour principal objectif de vendre le plus possible de véhicules, mais de les vendre plus cher. En Europe, il a enregistré en 2022 une hausse de 26 % de ses ventes sur les segments C et supérieurs (les plus rentables). Ce sont les hausses de prix qui ont le plus contribué à la hausse du chiffre d’affaires : si ce dernier a grimpé de 16,5 % en 2023, il le doit surtout à l’« effet prix » (+7,4 points).
« Luca de Meo, directeur général de Renault Group, fait le tour des médias pour endosser à lui seul ce succès ponctuel, fustige la CGT du constructeur. (…) Nous savons, sur le terrain, d’où ces records viennent. Ils sont le fruit du travail de tous les salariés du groupe. Ils sont aussi la dégradation de leurs conditions de travail. » Selon le syndicat, 10 000 emplois ont été supprimés en France depuis 2020.
Le groupe ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. D’ici 2027, Renault a déjà annoncé son intention d’écraser ses coûts de production de 30 % par véhicule thermique et de 50 % par véhicule électrique. « Les Chinois arrivent à produire avec des coûts de fabrication inférieure, pourquoi n’en serions-nous pas capables ? », faisait mine de s’interroger Jean-Dominique Sénard, président du conseil d’administration, en décembre dernier. La comparaison risque de ne pas rassurer les salariés français…
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