« La télévision n’est pas une zone de non-droit » : dans cette tribune, des organisations féministes et femmes politiques féministes ayant de longue date boycotté CNews et C8, interpellent l’Arcom.
8 février : énième saisine par de nombreux téléspectateurs de l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, après une séquence profondément choquante sur TPMP : alors que Loana, première lauréate de « Loft story », raconte en direct et probablement en état de stress post-traumatique, son viol, l’animateur Cyril Hanouna glousse hors champ et une des chroniqueuses de l’émission, Kelly Vedovelli, est manifestement hilare.
CNews et C8 sont régulièrement sanctionnées pour avoir enfreint les obligations qui leur incombent en vertu de la loi du 30 septembre 1986 (qui prohibe l’incitation à la haine ou à la violence fondée sur les origines, la religion ou la nationalité et punit les propos antisémites, racistes ou homophobes ainsi que ceux faisant l’apologie de crimes contre l’humanité dans les programmes mis à disposition du public), mais aussi pour les infractions à la convention signée avec l’Arcom. En effet, les fréquences d’émission font partie du domaine public, elles appartiennent au peuple français et sont mises à disposition de chaînes privées en contrepartie d’une convention qui stipule notamment que les programmes n’encouragent pas « les comportements discriminatoires en raison de la race ou de l’origine, du sexe, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de la nationalité » et assurent « le pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion ».
En 2017, une sanction de 3 millions d’euros contre C8 venait sanctionner un canular homophobe sur le plateau de Cyril Hanouna. La même année, une interdiction de diffuser de la publicité pendant deux semaines était infligée à la chaîne pour les comportements sexistes constatés dans la même émission, Touche pas à mon poste. En mars 2021, 200 000 euros de sanction pour incitation à la haine envers les mineurs étrangers isolés dans l’émission « Face à l’info » sur CNews après qu’Eric Zemmour y a déclaré qu’ils étaient « tous des voleurs, tous des assassins, tous des violeurs ».
Quant au pluralisme, 36 % des invités politiques de CNews sont classés à l’extrême-droite, sans compter, comme le souligne Le Monde, que les prises de parole plus que conservatrices des présentateurs et chroniqueurs, tels que l’essayiste Mathieu Bock-Côté ou encore Pascal Praud, ne sont pas décomptées à ce jour : c’est ce que le Conseil d’État vient de demander à l’Arcom de faire dans son évaluation du respect du pluralisme des expressions sur CNews.
Bien sûr, nous considérons que les conséquences politiques d’une telle désinhibition de la parole sexiste et raciste sont dramatiques (alors même que la loi encadre la liberté d’expression dans notre pays en prohibant l’appel à la haine). Olivier Mannoni, traducteur d’une version de « Mein Kampf » en français, explique de la manière suivante comment l’indicible horreur du IIIe Reich a pu survenir dans l’Histoire : « C’est arrivé aussi par le langage, une manière de faire sauter aussi les tabous du langage. Quand on dit « tu ne diras pas ça », c’est que le fait de le dire ouvre des portes et qu’une fois qu’on a ouvert les portes, il n’y a plus aucun contrôle ».
Mais le sujet ici est un sujet légal plus qu’un sujet politique : chercheuse spécialiste des médias Julia Cagé soulignait le 18 janvier devant la commission d’enquête parlementaire sur les chaînes de la TNT que « le non-respect des obligations conventionnelles par CNews n’est pas un problème idéologique mais un problème entièrement légal. (…) Si cela avait été fait par un actionnaire qui avait une ligne beaucoup plus marquée à gauche, cela poserait exactement les mêmes difficultés ».
Enfin, selon le sémiologue et spécialiste des sciences de l’information et de la communication François Jost, CNews ne peut même plus être considérée comme une chaîne d’information, contrairement à ce qu’indique sa convention avec l’Arcom. Une observation des programmes du 31 janvier au 4 février 2022 lui a permis de noter que dans les émissions Midi News et Soir Info, « l’information stricto sensu, comme énonciation de faits, occupe 13 % du temps ».
En deux ans, ce sont ainsi 34 interventions et sanctions de la part de l’Arcom qui ont été recensées à l’encontre de C8 et CNews pour « des faits de désinformation, de racisme, de sexisme, d’incitation à la haine, de non-respect du pluralisme, d’un manque « d’honnêteté dans l’information » comme le souligne la lettre ouverte de la députée Sophie Taillé-Pollian et de l’ex-journaliste Latifa Oulkhouir.
La télévision n’est pas une zone de non-droit. Au-delà des séquences ayant abouti à des sanctions effectives, nous ne pouvons plus accepter les propos racistes d’un Jean-Claude Dassier qui explique en toute impunité que « tant qu’on s’adressera à des classes qui comprennent 75 % de noirs, d’arabes, j’en passe et des meilleurs, on n’y arrivera jamais » ; qu’un Zemmour déclare qu’il est du côté du général Bugeaud quand celui-ci massacre les musulmans et les juifs en Algérie, qu’un Pascal Praud multiplie propos et comportements sexistes à l’antenne. La réalité, c’est que ces « dérapages » n’en sont pas et sont devenus la marque de fabrique de chaînes qui fonctionnent à coups de buzz et de comportements et propos racistes et sexistes de ses animateurs et chroniqueurs vedettes, repris sur les réseaux sociaux et qui essaiment dans le reste du paysage audiovisuel français. Ces chaînes paient les sanctions, quand sanction il y a, et rien ne change, mis à part la qualité du débat public et la crédibilité des régulateurs qui se dégrade. Elles seront certainement prêtes à signer les prochaines conventions élaborées par l’Arcom, avant de s’asseoir allègrement dessus comme elles le font depuis des années.
Dans ce contexte, nous, organisations féministes et femmes politiques féministes ayant de longue date boycotté CNews et C8, appelons l’Arcom à ne pas renouveler l’attribution de fréquence à ces chaînes.
À l’initiative de
Autrices :
- Gabrielle Siry-Houari, autrice de « La République des hommes », Maire-adjointe du 18e arrondissement de Paris
- Ursula Le Menn, porte-parole d’Osez le féminisme
Co-signataires :
- Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de garde
- Céline Thiebault Martinez, présidente de la coordination pour le lobby européen des femmes (CLEF)
- Monique Dental, présidente du réseau féministe « Ruptures »
- Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF)
- Nicole Chartier, Association pour le développement des initiatives économiques de femmes (ADIEF)
- Jocelyne Andriant Mebtoul, Femmes du monde et réciproquement (FMR)
- L’assemblée des femmes
- Ensemble contre le sexisme
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