vendredi 2 février 2024

« Ce qu’on veut c’est un revenu décent » : au péage de Saint-Quentin-Fallavier, les paysans veulent vivre de leur travail


 

Les militants de la Confédération paysanne bloquent cette portion d’autoroute iséroise depuis mardi matin. Dans ce contexte de mobilisation du monde agricole, ils insistent sur la nécessité de pouvoir vivre de leur travail, tout en préservant l’environnement.



Saint-Quentin-Fallavier (Isère), envoyée spéciale.

« Classe laborieuse, classe laboureuse, même combat. » Devant le péage de l’A43, à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), entre Chambéry et Lyon, la Confédération paysanne a garé depuis mardi ses tracteurs décorés de slogans. Les 100 000 voitures par jour traversant l’autoroute des Alpes ont laissé place à un mini-campement délimité par des bottes de paille.

Ce mercredi matin, Thierry Bonnamour, co-porte-parole régional de la Confédération paysanne, émerge à peine de la benne dans laquelle il a passé la nuit. « C’était plutôt confortable », chuchote-t-il, la voix cassée par un coup de froid. Pour ce maraîcher bio basé à côté du lac d’Aiguebelette (Savoie) et qui pratique la vente directe, « Gabriel Attal n’a annoncé, mardi, que des mesurettes. Sur le versement de la PAC (politique agricole commune) au 15 mars, ben, ça sera pour toutes les fois où on l’a reçue en retard ! Ce qu’on veut, c’est que nos produits ne puissent plus être achetés en dessous du coût de revient, avoir des prix minimums garantis et un prix minimum d’entrée pour les produits importés. Il faut adapter l’économie au système agricole et non pas l’inverse ».

Dans son esprit comme dans celui de ses compagnons, le projet paysan doit être compatible avec l’intérêt général. « On ne veut surtout pas plus de pesticides, souligne-t-il en faisant allusion à la FNSEA (qui avait obtenu la non-augmentation des taxes sur leur utilisation – NDLR), parce que cela pollue l’eau des villes, tue les insectes et favorise la disparition des oiseaux. »

« La fin de la taxe sur le GNR, ça ne change rien pour nous »

Sur cet axe stratégique, la centaine de militants prévoient de multiplier les actions. La veille, encore plus nombreux, ils avaient bloqué une centrale de distribution d’Intermarché à proximité. « Ils n’arrêtent pas de tirer les prix au plus bas et ne respectent toujours pas la loi Egalim (pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable – NDLR) », poursuit le maraîcher.

Pour Marie, paysanne-boulangère sur une exploitation de 23 hectares non loin de Bourgoin-Jallieu (Isère), qui a fait partie des agricultrices ayant acheminé les tracteurs, il est important que leurs revendications de petits producteurs bio soient aussi entendues. « On était mal à l’aise avec la mobilisation au début, explique-t-elle, emmitouflée dans sa doudoune rouge. On ne s’y reconnaissait pas. La fin de la taxe sur le GNR (gazole non routier), ça ne change rien pour notre ferme. Lors des négociations, les grands syndicats n’arrêtent pas de baisser nos cotisations et d’exiger des exonérations parce qu’ils capitalisent à côté pour leur retraite, ce qui ne sera pas notre cas. On se bat donc pour nos droits sociaux. 

Installée depuis deux ans avec trois associées, après avoir bataillé pour obtenir des terres à cultiver, elle ne peut pas encore se dégager de salaire. « Entre l’insécurité économique et climatique, les gens nous ont demandé pourquoi on s’était lancées là-dedans. »

Sur le barrage, la paysanne s’est réjouie de voir débarquer des soutiens de la CGT, de SUD… « Des citoyens sont venus de Lyon pour nous apporter des merguezJ’ai rencontré des agriculteurs non syndiqués. Ça m’a remonté le moral. C’est bien de parler de la souffrance agricole, mais il faut surtout regarder ce qui en est la cause ! » tranche celle qui fait pousser (entre autres) du blé, moud son grain et fabrique du pain.

Première revendication : un revenu décent

Sophie, travailleuse agricole, aimerait pouvoir reprendre une exploitation. En attendant, la précarité de son statut l’inquiète. « Nous n’avons pas de prime de fin de contrat. Nous sommes payés au Smic avec des astreintes le week-end. Si certains exploitants peuvent se rendre aux blocages, c’est aussi parce que nous assurons l’intendance. Nous sommes des invisibles », souligne celle qui nourrit des vaches laitières.

Face aux courgettes espagnoles ou aux haricots verts du Kenya, les militants opposent, ce jour-là, la préparation de courges butternut bio pour le repas du midi. Laurent, maraîcher drômois, remue ce qui va devenir un couscous revisité dans une énorme marmite remplie des productions locales

Bertrand, lui, découpe son propre saucisson de brebis. Il désigne un pot de terrine : « C’est tout ce qu’il reste de mes brebis et agneaux. Avec le Covid, l’augmentation du prix des céréales, déjà que l’équilibre était précaire, là, j’ai dû me réorienter vers les porcs et les bœufs pour me remettre à flot ! » lance-t-il.

La Confédération paysanne envisage de prolonger son action jusqu’à au moins lundi. « On nous dit que nous sommes utopistes, mais notre revendication première, c’est un revenu décent et de mieux prendre en compte les conditions environnementales ! assène Thierry Bonnamour. Ce n’est pas pour rien que plus d’un million de paysans ont disparu en quarante ans. »

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