par Frédéric Lordon
Ce sera sans doute la perle de la crise. Karine Berger, députée
socialiste, rapporteure du projet de loi dit de « séparation » et de
« régulation » des activités bancaires, reprenant la parole en
commission des finances après les exposés de MM. Chifflet, Oudéa et
Bonnafé, respectivement président de la Fédération bancaire française,
président de la Société Générale et directeur-général de BNP-Paribas : « Vos
trois exposés laissent paraître que vous n’êtes pas réellement gênés
par ce projet de loi ; j’en suis à la fois étonnée et ravie » [1]…
Qu’elle en fût uniquement étonnée n’aurait trahi qu’une charmante
simplicité d’esprit. Qu’elle en soit au surplus ravie ne laisse plus le
moindre doute quant au côté où elle se tient. Pour notre part, plus rien
ne nous étonne dans les rapports du socialisme de gouvernement et de la
finance — quant au ravissement, évidemment… « I am not dangerous », s’était empressé de préciser François Hollande à l’adresse de la City qu’il était venu rassurer après l’avoir nommée « l’ennemi sans visage »,
sans doute dans un moment d’égarement, caractéristique du contact avec
la foule des meetings. Heureusement vite rattrapé. La députée Berger et
le ministre de l’économie et des finances Moscovici, eux aussi,
poursuivent le minotaure au pistolet à bouchon — inutile de rentrer les
enfants, on ne prévoit pas de bain de sang.
Ce sera donc du gâteau pour les historiens d’ici quelques décennies
de se livrer à l’analyse comparée des réactions respectives à la crise
financière des années trente et à celle de 2007, et l’on saura à quoi
s’en tenir quant à la tenue des élites des deux époques, leur degré de
compromission avec les forces de la finance et de servilité vis-à-vis
des puissances d’argent. « La solution du rapport Liikanen est certes trop radicale… »,
déclare sur le ton de l’évidence Karine Berger, à propos d’une de ses
dispositions (relative au traitement des opérations dites de « tenue de
marché »). « Certes ». Fouetter les banquiers avec le plumeau du rapport
de la Commission européenne, c’est en effet d’une insoutenable
violence. Ne connaissant pas à Karine Berger de lien financier crasseux
avec les institutions bancaires — à la manière de certains économistes
en Cercle — nous savons donc maintenant qu’on peut être vendu(e) à la
finance sans en toucher le moindre sou [2] !
Ce qui est peut-être pire encore…
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