Au total, avec un coût de 1,8 milliard par an et 16 000 fonctionnaires mobilisés à temps plein, la lutte contre l’immigration clandestine est loin d’être le parent pauvre de la République.
Manque de moyens humains, logiciel obsolète
Un chiffre résume le décalage entre la fermeté de la règle et les moyens de sa mise en application : alors que le nombre d’obligations de quitter le territoire (OQTF) délivré a augmenté de 60 % ces cinq dernières années, les effectifs des préfectures chargées de l’application de la législation sur le droit des étrangers n’ont eux crû que de 9 %. Résultat, « la plupart des préfectures sont surchargées, commettent des erreurs juridiques face à un cadre particulièrement complexe, et rencontrent des difficultés à respecter les délais légaux », souligne la Cour. La pression est d’autant plus forte sur ces fonctionnaires que toute la procédure concernant les étrangers en situation irrégulière est concentrée au niveau de ces préfectures. La Cour recommande donc – « et ce n’est pas son habitude », a rappelé Pierre Moscovici – un « renforcement en moyens humains ». En d’autres termes, l’embauche de fonctionnaires.
Au-delà du facteur humain, le rapport critique aussi l’éparpillement des informations. Pas moins de douze systèmes sont utilisés pour contrôler les étrangers et les enregistrer, mais faute de mise en commun des données, « les préfectures ne disposent d’aucune vision complète du parcours de chacun, de son entrée à sa sortie du territoire ». Quant au logiciel du ministère de l’Intérieur censé gérer les étrangers en France, il est jugé « obsolète ».
Des OQTF difficilement exécutables
L’éloignement des personnes en situation irrégulière est un autre point sur lequel la Cour pointe le décalage entre les discours et la réalité. Malgré les rodomontades du ministre de l’Intérieur, le taux d’exécution des OQTF n’est que de 12 %. Ce faible niveau, qui « n’est pas propre à la France », s’explique en partie par le caractère structurel des obstacles rencontrés : difficulté à identifier 20 à 30 % des étrangers, refus de certains pays de délivrer des laissez-passer consulaires pour leurs ressortissants présumés, ou encore difficultés d’embarquement sur des vols commerciaux. Pour toutes ces raisons, Pierre Moscovici juge « fantasmatique » la promesse présidentielle de 100 % d’OQTF exécutées. La Cour estime néanmoins que des mesures pourraient accroître le niveau actuel, comme la centralisation des procédures de demande de laissez-passer consulaire, le renforcement du personnel dans les CRA ou un meilleur développement des aides au retour volontaire.
Au total, avec un coût de 1,8 milliard par an et 16 000 fonctionnaires mobilisés à temps plein, la lutte contre l’immigration clandestine est loin d’être le parent pauvre de la République. Mais le rôle central pris par le ministère de l’Intérieur a entraîné un « désengagement » des autres ministères, estime la Cour, qui appelle à la mise en place « d’une stratégie interministérielle coordonnée ». La Cour des comptes, en revanche, s’est bien gardée de mesurer le coût humain et économique de cette grande fabrique de « sans-droits » qu’est devenue la politique migratoire. Si 12 % des quelque 450 000 OQTF prononcées chaque année sont appliqués, qu’offre-t-on aux 88 % restant d’autre qu’une vie d’exploitation et de misère, dans l’illégalité ?
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