L’Union européenne n’a pas de responsabilité directe en matière de définition des politiques de santé publique, ou dans l’organisation de la fourniture des services de santé et des soins médicaux, qui sont du ressort des États membres.
Cependant, l’UE dispose d’une compétence complémentaire, qui l’autorise à soutenir et à coordonner des actions, ainsi qu’à adopter des mesures législatives contraignantes dans certains domaines clairement définis, comme les médicaments et les dispositifs médicaux. Pendant la pandémie, c’est ce qui avait conduit la Commission européenne à négocier de façon groupée les vaccins. Alors que l’investissement public avait permis la création de vaccins contre la Covid 19 en moins d’un an, la Commission européenne avait alors décidé de se soumettre totalement aux volontés des Big Pharmas, au lieu d’œuvrer à la levée des brevets pour faire des vaccins un bien public de l’humanité, qui aurait permis d’atteindre l’immunité collective au niveau mondial (1).
Depuis... rien n’a changé. Alors que plus de trente ans de politiques néolibérales en France, en Europe comme dans le monde, ont mené nos systèmes de santé dans une crise structurelle, rien n’a été fait depuis la fin de la pandémie pour inverser la tendance.
En 2022, la France a connu une pénurie de médicaments touchant 12,5 % des références à la mi-août, contre 6,5 % en janvier. Les alertes se sont multipliées sur la cortisone, des antidiabétiques et des antibiotiques. En janvier 2023, la situation était considérée comme critique dans la plupart des pays membres et un tiers des Français a été confronté à une pénurie de médicaments pendant l’année écoulée.
De l’aveu même de la Commissaire européenne en charge de la Santé, Stella Kyriakides, « les principales causes identifiées sont la forte augmentation de la demande due à la multiplication des infections respiratoires et à l’insuffisance des capacités de production ». Pourtant la privatisation totale du secteur du médicament depuis les années 90 a entrainé une délocalisation de la production des actifs, ainsi qu’une soumission totale aux grands laboratoires pharmaceutiques qui privilégient évidemment la course au profit au détriment de la santé des populations.
En effet, avec son bénéfice net de 13,8 % en 2023, l’industrie pharmaceutique peut se targuer d’être un des secteurs les plus rentables du « marché ». Les plus gros laboratoires voient encore leur chiffres d’affaires exploser avec plus de 100,3 Mrds $ pour Pfizer ou 95,9 Mrds $ pour J&J ou 68,5 Mrds $ pour Roche, entre autres (2), en 2023.
Pour parvenir à ces résultats exorbitants, les Big Pharmas vont chercher les coûts de fabrication là où ils sont les plus faibles, c’est-à-dire principalement en Chine et en Inde. Ceux-ci fournissent à l’Europe 80 % des remèdes, ce qui peut causer des ruptures de stocks dues à leur transport ou à une meilleure offre commerciale d’un pays tiers. Cette pratique commerciale qui nous rend extrêmement dépendants de ces pays et a évidemment un impact majeur sur l’emplois dans ces secteurs en Europe comme sur la maitrise de la santé publique.
Alors que la question de la relocalisation de la production de médicaments en Europe est plus que jamais d’actualité, la Commission européenne préfère en rester à des mesures « incitatives » comme le lancement d’un mécanisme européen de solidarité volontaire en matière de médicaments (octobre 2023), l’établissement d’une liste de l’Union des médicaments critiques (fin 2023), la mise en place de flexibilités réglementaires sur la péremption des médicaments ou encore l’élaboration d’orientations de l’UE sur les marchés publics de médicaments début 2024 (3). Résultat de ces bonnes intentions : début 2024 l’approvisionnement en médicament des pays européens est plus que jamais menacée !
En 2020, le président français Emmanuel Macron avait pourtant annoncé vouloir rapatrier la production de paracétamol en France. Pour cela, il a débloqué 200 millions d’euros de subventions, principalement au profit du géant pharmaceutique français Sanofi, sans aucune garantie sociale. Cela n’avait donc pas empêché l’entreprise d’annoncer en 2021, au beau milieu de la pandémie, la suppression de 400 postes en France dans le domaine de la recherche et du développement. Si la fabrication de ce principe actif sur le territoire français avait été initialement annoncée pour 2023, on parle aujourd’hui de 2025 ou 2026 pour le lancement de la production.
Pourtant d’autres choix sont possibles et existent au niveau international. Aux États-Unis par exemple, face au problème de la pénurie de médicaments, 800 hôpitaux ont pris l’initiative en 2018 de s’approprier l’achat et la production de leurs médicaments. Pour cela, ils ont fondé l’organisation sans but lucratif Civica RX, afin d’éviter de dépendre de géants pharmaceutiques. L’organisation négocie des contrats à long terme avec une quinzaine de petits producteurs de médicaments génériques. Résultat : en deux ans et demi, les prix ont chuté de 30 % en moyenne (4).
En Europe aussi nous pourrions produire autrement. Depuis 20 ans, le PCF propose la création d’un pôle public du médicament à l’échelle nationale, européenne et mondiale en charge de la recherche, de la production et de la distribution des médicaments. Cela permettrait d’en faire un véritable outil de santé publique et d’innovation scientifique pour répondre aux grands enjeux de notre époque (5).
Pour cela, il est impératif de sortir du carcan néo-libéral qui, en faisant du médicament uniquement une opportunité économique et une source de profit, organise la spéculation au détriment de la vie des populations.
Charlotte Balavoine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire