La naturalisation des inégalités face à l’école marque l’histoire de l’Éducation nationale et continue à dominer, sous des vocables différents, dans les représentations. Pourtant, les travaux largement consensuels de la sociologie critique établissent depuis les années 60 des relations de corrélations entre classe d’origine et réussite scolaire.
Ils en démontent les mécanismes socialement construits, convergent pour réfuter les logiques fatalistes, permettant ainsi de créer les conditions pour faire reculer les échecs massifs des enfants des classes populaires. Ces travaux sont rejetés, ignorés dans les politiques éducatives du libéralisme car ils dévoilent, bien sûr, un projet politique déjà dénoncé par Lucien Sève 1 dans le célèbre texte Les dons n’existent pas : « La théorie de l’inégalité des dons intellectuels n’est rien d’autre qu’une fable répandue par les idéologies des classes dominantes pour masquer la réalité de l’inégalité des classes. »
Et cette fable revient en force, tant dans les prescriptions ministérielles dont elle est le fondement que dans les médias dominants. Elle revient en force pour clore le débat, au nom de LA science, en avançant des affirmations à prétention scientifique (rapidité différente dans les apprentissages, capacité ou non d’abstraction, mesures de l’intelligence par des tests, etc.) qui ne rendent en rien compte de la réalité des difficultés rencontrées par les élèves et sont loin d’être hégémoniques dans leur propre domaine. La biologie, la génétique, la neurologie sont ainsi convoquées pour assimiler les différences objectives à des capacités inégales, affirmer donc le caractère inéluctable des difficultés. Ce qui est scientifiquement en contradiction avec les découvertes sur la plasticité du cerveau, qui n’intéresse guère les neurosciences « élues ».
À tort ! Car il ne suffit pas de décréter la capacité de tous à apprendre, dans un grand élan idéaliste qui omettrait de prendre en compte les conditions pour la rendre effective. Ce à quoi engagent nombre de neurobiologistes qui, à partir des formidables découvertes sur la plasticité du cerveau, montrent, comme l’écrit Catherine Vidal 2, que « l’interaction avec l’environnement est la condition indispensable au développement et au fonctionnement du cerveau ». Le biologique et le social ne sont donc pas exclusifs, et l’intelligence ne peut se mesurer car elle est le produit du développement.
Ce numéro de Carnets rouges s’attache à identifier, dénoncer et réfuter une idéologie des dons mortifère et de plus en plus décomplexée qui s’affirme, sans preuves, pour ce qu’elle n’est pas, une science. Également à participer à un débat qui refuse l’idéologisation et l’instrumentalisation de la recherche. Il est temps que cessent toutes les formes de catégorisation des élèves, car elles préparent une société hiérarchisée et inégalitaire, jusqu’à les instituer comme fondement de notre société. Il est temps que cesse une vision binaire du monde qui justifie les inégalités. Il est temps que l’éducation, noyau dur de toute société, se souvienne de sa place dans une démocratie.µ
Christine Passerieux
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