En ce début d’année 2024, la question de l’information en France - donc de la démocratie - se pose de façon de plus en plus aigüe du fait de l’accélération des concentrations et de la mainmise quasi totale sur la sphère médiatique d’une poignée de milliardaires. De fait, cette dizaine d’oligarques - dont les liens intrinsèques avec les pouvoirs politiques et économiques sont avérés - contrôlent non seulement les médias, mais dominent aussi l‘édition, les sites, la musique, le 7e art, la production audiovisuelle, etc., confisquant ainsi le pluralisme et la liberté d’expression, tout comme la création.
Les grandes manœuvres, qui se sont déroulées dans ce secteur en 2023, ont été caractérisées par une montée en puissance du groupe Bolloré qui a pris possession du groupe Lagardère. Dans la même période où le milliardaire tchèque Kretinsky a acquis des positions dominantes avec son groupe media CMI (Elle, Marianne, des parts dans Le Monde, en cours de cession à Niel, et Libération, etc.). Tout comme l’armateur Rodolphe Saadé (CMA CGM 3e groupe mondial) qui s’est emparé de La Provence et de la Tribune.
Au-delà de la galaxie Bolloré, l’arbre ne doit pas cacher la forêt des milliardaires ayant prise sur l’information : Patrick Drahi (BFMTV, RMC, I24, etc.), Niel, Dassault, Bouygues, Pigasse, etc.
Fait marquant de l’année écoulée : la Commission européenne a confié à Bolloré et Kretinsky le sort des principales maisons d’éditions françaises - Hachette et Editis. Dès lors, Vivendi-Bolloré devient le 3e groupe mondial de l’édition tout en possédant un empire médiatique considérable : le Journal du Dimanche (où il a réussi à imposer manu militari sa ligne identitaire et ses hommes avec à la tête du nouveau JDD Geoffroy Lejeune, ex de Valeurs actuelles), Europe 1, Europe 2 et RFM. Mais encore CNews, chaîne ultraconservatrice qui avait fait la campagne présidentielle en 2022 du candidat Zemmour, et Paris Match, transformé en hebdomadaire de la frange la plus réactionnaire de la hiérarchie catholique.
Hormis l’édition et les médias, le groupe Vivendi est propriétaire de l’Olympia, du Théâtre de l’œuvre et d’un réseau de salles de spectacles en Afrique (18 salles dans 12 pays, les Canal Olympia), mais aussi des Folies Bergère, du Casino de Paris, de l’Arkéa Arena et de l’Arena du Pays d’Aix, gérées par la filiale Lagardère Live Entertainment, également productrice d’artistes et de productions françaises. Bolloré contrôle également 11 festivals en France, dont Garorock, Brive Festival ou ODP Talence, ou en Grande-Bretagne dont Love Supreme et Kite, et une billetterie, See Tickets (présente dans une dizaine de pays). Festivals et billetterie sont en cours de cession.
Le contrôle de ces sphères culturelles et médiatiques permet à l’ultra catholique conservateur Bolloré de devenir un acteur incontournable de l’information et du divertissement, s’érigeant en porte-voix de la France complotiste, plateforme de la pensée ultra conservatrice qui surfe sur les thèmes du « grand remplacement ».
En décembre, coup de théâtre dont le milliardaire breton, surnommé « le petit prince du cashflow » est friand : il décide de diviser les actifs de Vivendi en trois parts pour valoriser ses avoirs en bourse : groupe Canal+ d’un côté, et Havas de l’autre, enfin médias et édition sous une même direction.
Une manœuvre qui se joue alors qu’un rapprochement entre le dirigeant de l’empire Bolloré et le président Macron semble se nouer.
Pour autant le contrôle de l’information relève plus que jamais du domaine réservé du chef de l’État : avec entre autres l’installation par Emmanuel Macron des états généraux de l’information, sans que ni les partis ni les syndicats n’aient été consultés.
Mais c’est aussi par l’autoritarisme de plus en plus prégnant que le système veut s’imposer. En témoigne l’affaire de la journaliste Ariane Lavrilleux, cible de la DGSI pour avoir dévoilé la fourniture d’informations à l’Égypte par l’État pour commettre des crimes, la protection des sources ayant été à cette occasion foulée aux pieds. Et tant d’autres journalistes poursuivis pour n’avoir pas su rentrer dans le moule du prêt à penser.
Patrick Kamenka Devant la concentration des médias, face au rouleau compresseur des idées de l’extrême droite et du libéralisme, la Commission médias du PCF appelle à reconquérir une information citoyenne
- En inscrivant dans la Constitution un financement pérenne du service public de l’audiovisuel, pour assurer la maîtrise de la chaîne de fabrication des programmes. En rapatriant TF1 dans le service public, en rappelant les missions premières du service public telles que prônées par le CNR : éduquer, informer et divertir.
- En préparant une PPL anti-concentration pour assurer le pluralisme de l’information. Celle de 1986 étant globalement obsolète comme en témoigne la montée en puissance des Bolloré et autres oligarques
- En fléchant les aides à la presse en priorité vers les médias indépendants (condition d’un vrai pluralisme) via une taxation des Gafam pour abonder un fonds de développement d’une presse plurielle.
- En mettant en chantier les bases d’une presse pluraliste (éducation aux médias pour les jeunes générations), en libérant les rédactions du poids des actionnaires, par une réforme des aides à la presse existantes (1 % des recettes publicitaires pour les médias à faible dotation) et des aides postales qui ne jouent plus leur rôle de service public pour préserver la continuité territoriale, etc.
- En ouvrant un débat parlementaire sur le contrôle des Gafam et du poids des algorithmes, notamment après les accords entre Google et les grands groupes de médias français.
- En créant un pôle public de recherche de l’IA et la mise à disposition gratuite des logiciels et algorithmes.
Patrick Kamenka
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