samedi 27 janvier 2024

Génocide à Gaza : « On assiste à un renversement géopolitique de l’utilisation de la CIJ »

L’Afrique du Sud a saisi l’instrument juridique de l’ONU, accusant Israël de perpétrer un génocide dans l’enclave palestinienne. Elle demande des mesures conservatoires pour stopper le crime. Les 15 juges de La Haye doivent rendre leur décision, ce vendredi. Johann Soufi, juriste, revient sur la procédure.

Ce 26 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ) doit rendre sa décision concernant la demande de mesures conservatoires déposée par l’Afrique du Sud dans le cadre d’un possible génocide en cours perpétré par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. L’affaire a été plaidée les 11 et 12 janvier. Johann Soufi, juriste, dégage les grandes lignes d’un dossier d’ores et déjà historique.

En quoi est-ce important ?

C’est la première fois qu’une juridiction se prononcera sur la gravité de ce qui se passe à Gaza, en temps réel. Par ailleurs, si la Cour considère qu’il y a un « risque plausible de génocide » et ordonne des mesures conservatoires, cela entraînera des conséquences à la fois politiques et juridiques pour l’ensemble des États de la communauté internationale, par exemple l’interdiction de continuer à soutenir militairement une opération potentiellement génocidaire.

La Cour internationale de justice ne se prononce pas sur la légalité de l’action israélienne à Gaza. Elle se prononcera simplement sur le fait de savoir s’il existe ou non un risque de génocide. C’est tout. Si elle considère qu’un tel risque n’existe pas cela ne signifiera pas pour autant qu’il n’y a pas des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité commis en ce moment dans l’enclave.

Quoi qu’il se passe aujourd’hui, on est déjà dans un moment historique. On assiste aujourd’hui, à un renversement important de l’ordre mondial où ce sont désormais des États du Sud global qui utilisent les instruments du droit international pour faire respecter le droit international et protéger les populations civiles.

Les décisions de la Cour internationale de justice sont-elles contraignantes ?

La CIJ peut prendre deux types de décisions. Des avis consultatifs, qui ne sont pas contraignants, sur des questions soumises par l’ONU et des décisions pour trancher des différends juridiques entre les Etats, qui ont une valeur contraignante. Dans ce cas, il s’agit d’une décision qui a valeur contraignante, que l’ensemble des États doivent respecter. Je rappelle toutefois que ni la Cour internationale de justice, ni les autres juridictions internationales d’ailleurs, n’ont de forces de police propre. L’exécution de leurs décisions revient donc au Conseil de sécurité des Nations unies, ou aux Etats. C’est donc principalement une question de volonté politique. En tout cas, sur l’obligation juridique de cette décision, il n’y a absolument aucun doute, elle est obligatoire. Les résolutions du Conseil de sécurité, par exemple, sont aussi obligatoires juridiquement. Après, si les États ne les mettent pas en œuvre et qu’il n’y a pas de capacité ou de volonté des États de les faire respecter, c’est une autre question. On n’est plus dans la valeur juridique de la décision mais dans l’incapacité ou dans le manque de volonté de la communauté internationale de faire respecter le droit.

Une fois la décision de la CIJ rendue, concrètement, que peut-il se passer ?

Tout dépendra de la teneur de cette décision. D’abord, les juges iront-ils dans le sens de la requête sud-africaine et reconnaitront-ils le risque de génocide? Il faut une majorité, c’est-à-dire au moins 8 juges sur les 15. Si tel est le cas, il faudra alors regarder sur quelles mesures conservatoires ils se sont mis d’accord : un cessez-le-feu, ou quelque chose de plus abstrait. Si la CIJ ordonne un cessez-le-feu, comme elle l’a fait par exemple en Ukraine, et que, comme la Russie, Israël refuse d’exécuter la décision, il reviendra alors aux États de prendre des mesures, des sanctions politiques, économiques et diplomatiques, pour qu’Israël soit contraint à respecter la décision de la CIJ. L’immense majorité des États, y compris la France, ont déjà dit qu’ils respecteront et qu’ils exécuteront la décision de la Cour.

 

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