Le conflit, qui dure depuis l’invasion russe du 24 février 2022, s’enlise. Après les destructions, les centaines de milliers de victimes et 646 jours de combats, les habitants de Kiev ont débuté une partie de la reconstruction. Si la vie reprend timidement, tous continuent d'espérer une victoire.
Dans la capitale, la nuit désormais est propice aux raids aériens de drones russes. L’inquiétude est de plus en plus vive et la population craint de revivre le même hiver que l’an passé, où les frappes russes avaient visé des installations énergétiques. Le sujet est au cœur des conversations alors que le froid saisit la ville et que la neige couvre les rues.
« On s’y est habitué, finalement. Nous avons trouvé des astuces entre lampe solaire, à piles et bougies. Certains ont acheté des générateurs au fioul ou au gaz. Mais les prix sont exorbitants. D’autres ont racheté des gazinières. Hélas, on s’adapte à tout. Un peu comme les alertes que l’on entend même plus la nuit… » explique Olya, la quarantaine.
Comme nombre d’habitants qui doivent rejoindre l’est de Kiev et traverser le Dniepr, elle se dépêche de rentrer. « Entre les couvre-feux et les alertes, il faut éviter de se retrouver bloqué. Et puis, j’ai repris les cours de danse, le soir, avec d’autres amies », confie-t-elle en souriant.
Aucune famille n’est épargnée
Après 646 jours de guerre, l’épuisement se fait parfois sentir. En l’espace de vingt et un mois passés sur le front, la majorité des hommes n’ont eu guère de répit. En moyenne, les soldats ont bénéficié au mieux de deux tranches de dix jours de repos. La fatigue gagne. La lassitude, aussi, pour les premiers volontaires et mobilisés. « Les traumatismes sont énormes étant donné la violence des combats et des pertes. Le coût humain est immense. On s’en rend compte en comptant le nombre de morts et de blessés au sein de nos cercles familiaux et d’amis », témoigne Iryna, dont le mari se bat dans le Donbass.
À Kiev, qui se trouve désormais à l’arrière du front, affiches placardées et banderoles accrochées un peu partout honorent les combattants. Au Musée national d’histoire, une exposition retrace l’histoire des combattants de Marioupol alors que l’inscription « Azovstal : free Mariupol defenders » est inscrite au fronton de l’hôtel de ville. Ce large bandeau réclame la libération des prisonniers de la Russie.
En marge de ces expressions publiques, plusieurs collectifs de femmes et mères de soldats réclament, depuis des semaines, que leur remplacement soit réalisé de manière régulière. Venues de plusieurs villes et régions d’Ukraine, elles se rassembleront, à nouveau, ce samedi 2 décembre sur la place Maïdan. Un clin d’œil à l’histoire récente du pays, dix ans jour pour jour après le début des protestations massives durant lesquelles des centaines de milliers de personnes avaient manifesté contre le gouvernement de Viktor Ianoukovitch.
Dans les rues de la capitale, il n’est pas rare de croiser d’anciens combattants. Certains sont handicapés. D’autres ont le regard perdu. Avec 250 000 Ukrainiens tués ou blessés sur une population de 40 millions, aucune famille n’est épargnée. « C’est la préoccupation qui monte au sein de la société ukrainienne : comment va-t-on s’occuper du retour de nos soldats dans le civil ? interroge Mykhailo Volynets, qui dirige la Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU). Au sein de notre centrale syndicale, de nombreux mineurs qui sont partis combattre reviennent clairement marqués, nerveusement et émotionnellement. Ils ne sont plus les mêmes. C’est à nous de les aider, de les accompagner. Leur sacrifice doit nous servir à construire une société juste, bâtir un pays qui ne les oublie pas. »
Des groupes de vétérans ont été constitués par les syndicats, des associations ou le gouvernement. Formés d’anciens combattants, ils permettent l’écoute, l’échange et le partage des expériences, des traumatismes aussi. « Je revois le visage de mes amis, morts en sacrifiant leur vie. Je ne peux pas les abandonner. La seule chose qui me rattache à la société demeure cette guerre », témoigne l’un des soldats les mains tremblantes.
Mais la détermination reprend rapidement le dessus. Celle de ne pas laisser « la victoire » à l’agresseur. « On se bat contre une nation beaucoup plus peuplée et qui a appris de ses erreurs. Mais nous, nous avons l’ensemble du pays derrière nous. »
Les moyens manquent pour le retour à la vie civile
Néanmoins, les moyens financiers et humains manquent cruellement pour aider ce retour à la vie civile. Une prise en charge psychologique ou médico-psychologique n’est pas forcément possible. « On manque d’experts dans de nombreux domaines. De la rééducation aux soins spécialisés comme la traumatologie, la neurologie. Quelques centres d’accueil existent, mais cela ne suffira pas. On doit se préparer à l’après-guerre dès maintenant », relate la Fédération des syndicats d’Ukraine (FPU).
Le réveil peut s’avérer « brutal », estime un des membres du Mouvement social de gauche, Sotsialnyi Rukh. En tout, 20 % des Ukrainiens vivent dans la pauvreté. Les soldats touchent autour de 20 000 hryvnias (environ 500 euros) par mois. Pour Youri Samoïlov, originaire de Kryvyï Rih, « la guerre ne doit pas faire taire l’ensemble de nos droits et de nos acquis sociaux. Le gouvernement et son aile libérale emmenés par Galina Tretyakova n’ont eu de cesse, depuis 2022, de déréguler le droit du travail et de s’attaquer aux conventions collectives. Mais, dans la perspective de l’après-guerre, le pays ne pourra réclamer une deuxième fois leur sacrifice ».
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