mardi 5 décembre 2023

Emploi : l’exécutif veut-il la peau des ruptures conventionnelles ?


Au nom du « plein-emploi », le gouvernement envisagerait de remettre en cause cet outil introduit en septembre 2007, qu’il juge victime de son succès. Sans s’interroger sur les raisons de cet engouement


Les pistes de la première ministre, Elisabeth Borne, et du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, pour lutter contre le chômage, font craindre une remise en cause profonde du modèle social français. © Tesson/ANDBZ/ABACAPRESS.COM

La première ministre a sonné le tocsin. Une réunion doit se tenir ce lundi entre Élisabeth Borne et plusieurs ministres, pour plancher en urgence sur de nouvelles mesures destinées à atteindre le plein-emploi d’ici la fin du quinquennat.

L’avenir des ruptures conventionnelles pourrait se retrouver au menu des discussions : Matignon laisse entendre que cet outil, introduit dans le droit en septembre 2007 sous pression du Medef, gonflerait les statistiques du chômage. Ouvert uniquement aux salariés en CDI, ce dispositif permet au salarié de quitter l’entreprise avec une indemnité spécifique, tout en bénéficiant du chômage. Un demi-million de ruptures conventionnelles a été signé l’an dernier.

Un outil de pacification

L’exécutif pourrait tenter de freiner leur essor, en alourdissant leur fiscalité par exemple. Pour autant, est-ce vraiment une bonne idée pour faire baisser le chômage ? Rappelons tout d’abord qu’il ne s’agit pas de la méthode privilégiée par les entreprises pour mettre leurs salariés à la porte. Au deuxième trimestre 2023, 1,1 million de CDI ont été rompus selon les chiffres de la Dares. Les 126 000 ruptures conventionnelles ne représentent que 11,4 % de l’ensemble, loin derrière les démissions, les fins de périodes d’essai et les licenciements non économiques.

Par ailleurs, les spécialistes soulignent l’aspect ambivalent des ruptures conventionnelles, à la fois outil de flexibilisation et issue de secours pour salariés au bout du rouleau. Gwendal Roblin termine une thèse de sociologie sur le sujet. « C’est tout d’abord un mode de rupture très sécurisant pour l’employeur, peut-être le plus sécurisé d’ailleurs, explique-t-il. Les contentieux sont très peu nombreux, puisque cela se fait d’un commun accord. Par ailleurs, la jurisprudence a tracé des contours très larges à l’utilisation des ruptures conventionnelles : contexte économique difficile, différend entre salarié et employeur, etc. »

Outil de flexibilisation, c’est aussi un outil de « pacification des rapports sociaux au travail », poursuit le chercheur, puisqu’il permet d’éviter le recours aux prud’hommes ou autres conflits avec l’employeur. Mais, en se penchant sur l’usage des ruptures conventionnelles, il a surtout découvert à quel point c’était une forme d’échappatoire. « Il faut se demander ce qui amène des salariés à quitter un emploi en CDI dans un contexte de chômage de masse, interroge-t-il. Il s’agit bien souvent d’un choix mûrement réfléchi, pris par des personnes à bout physiquement ou psychiquement, malmenées par les conditions de travail. »

De là à conclure qu’il s’agit d’une avancée sociale, il y a un pas que le chercheur se garde bien de franchir. « En un sens, cela vient déresponsabiliser l’employeur, qui n’a pas à questionner l’organisation du travail pathogène qu’il a mise en place », prévient-il. Néanmoins, restreindre l’utilisation des ruptures conventionnelles améliorera-t-il vraiment la situation des salariés ? « S’il veut à tout prix diminuer le nombre de ruptures conventionnelles, le gouvernement ferait mieux de s’interroger sur les vraies raisons de leur succès », résume le thésard.

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