vendredi 15 décembre 2023

Influence : à l’Assemblée nationale, le lobby du tabac met le paquet

Les cigarettiers redoublent d’efforts auprès des députés pour empêcher toute hausse des taxes. Tour d’horizon des pratiques pour influencer les parlementaires français.



 Chaque année, le lobby du tabac arrive à faire déposer des amendements demandant un arrêt des hausses de la fiscalité sur ses produits.

MEHDI FEDOUACH / AFP

Le 26 septembre dernier, Élisabeth Borne annonce publiquement que la fiscalité du tabac, bien qu’indexée sur l’inflation, n’augmentera pas l’an prochain. Cette promesse vient couronner de succès les stratégies déployées par les cigarettiers pour empêcher la hausse du prix des paquets. Et en dit long sur la puissance du lobby du tabac dans les couloirs du Palais Bourbon.

Un jeu d’influence pointé par l’ancien déontologue de l’Assemblée nationale, Christophe Pallez, dans un rapport publié le 15 mai 2023. On y trouve cet exemple parlant : en 2022, dans leur croisade contre la hausse des prix des paquets de cigarettes, principal levier pour réduire la prévalence tabagique selon l’OMS, les fabricants se sont attaqués à l’article 8 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui fixe la fiscalité sur les produits du tabac. « Sur l’ensemble des 61 amendements à l’article 8, note le déontologue de l’Assemblée, 53 visaient à supprimer ou minorer la hausse de la fiscalité prévue. Seuls 5 de ces 61 amendements ont mentionné une source. »

Pis : ces cinq amendements sourcés ont été proposés par la Confédération des buralistes de France, un groupe de pression qui relaie les intérêts de l’industrie du tabac. Mais, lors des discussions en commission des Affaires sociales, aucun député n’a fait mention d’une source extérieure au moment de déposer leurs amendements, pourtant livrés « clés en main ».

Un même amendement déposé vingt fois

Le lobby du tabac tourne à plein régime à l’Assemblée et ce jeu d’influence est une activité essentielle. Une trentaine de lobbyistes seraient mobilisés en permanence en France pour un budget minimum de 1,15 million d’euros par an, selon un rapport de l’Alliance contre le tabac. De son côté, le déontologue du palais Bourbon ne peut que regretter « la persistance d’une certaine opacité de l’action des lobbies auprès des députés ».

Autre illustration du tir de barrage des industriels contre toute hausse de la fiscalité, un même amendement a été déposé vingt fois de suite. « Réussir à déposer autant de fois une même proposition, c’est quand même impressionnant. Ça montre qu’ils ont une véritable capacité de pénétration à l’Assemblée nationale », analyse Kévin Gernier, chargé de plaidoyer à l’ONG anticorruption Transparency International France.

Et leur influence ne faiblit pas. En témoigne la nouvelle salve d’amendements tirée le mois dernier, lors de l’examen en commission des Affaires sociales du PLFSS 2024. L’un d’eux, portant sur l’évaluation de l’efficacité de la fiscalité du tabac et rédigé par la Confédération des buralistes, a été déposé huit fois par des députés LR, RN et FI. Si seuls les trois députés RN ont sourcé leurs amendements, ils ont tous été rejetés.

Pour Kévin Gernier, « le lobbying le plus efficace, c’est celui qui est fait par les buralistes sur le ministre chargé des Comptes publics directement ». À l’image du 22 octobre 2022, lorsque Gabriel Attal réservait l’annonce du plan tabac 2023-2025 à un parterre de buralistes conquis, réunis à Paris pour leur congrès annuel.

Un entrisme tel que, depuis 2021, la France a perdu la troisième place à l’Indice mondial d’interférence de l’industrie du tabac. En attendant, le déontologue de l’Assemblée et Transparency International France appellent de leurs vœux à la création d’une plateforme listant les amendements proposés par les lobbies aux parlementaires.

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