mercredi 6 décembre 2023

Produits toxiques : pourquoi les pompiers portent plainte pour « mise en danger de la vie d'autrui » ?


La CGT des Sdis annonce avoir porté plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui. Les soldats du feu veulent faire reconnaître leur contamination par des molécules toxiques, mais aussi obtenir un suivi sanitaire digne de ce nom. 

« Il y a parfois de l’amiante, mais ça ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), un cancérogène, sont présents dans tous les feux. » Hugo AYMAR/HAYTHAM-REA

Des conditions de travail d’un autre temps. Le 4 décembre, lors d’une conférence de presse au siège de la CGT, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le collectif des agents des Sdis (services départementaux d’incendie et de secours) a annoncé avoir porté plainte contre X auprès du pôle de santé publique du tribunal de Paris pour mise en danger de la vie d’autrui.

Si le syndicat a décidé de hausser le ton, c’est que, depuis près de vingt ans, rien n’a vraiment bougé dans le pays pour protéger les pompiers de la toxicité des fumées et des matières dangereuses. Pourtant, en 2003, à la suite de plusieurs décès, le rapport Pourny avait formulé plus de 200 recommandations pour améliorer leur sécurité… mais la plupart sont restée lettres morte.

Sébastien Delavoux, animateur du collectif Sdis à la CGT, ne supporte plus de voir les constats s’accumuler dans le vide. « Tout feu comporte un risque. Nous avons même trouvé des publications de 1986 disant que ceux de forêt étaient toxiques ! s’indigne-t-il. Mais rien ne change en France. Il y a visiblement un problème avec le ministère de l’Intérieur et la majorité de nos employeurs. »

Le centre international de recherche contre le cancer a classé ce métier comme cancérogène

Au Canada, de nombreuses maladies professionnelles sont, elles, répertoriées comme liées à cette profession depuis des années. En 2022, le Centre international de recherche contre le cancer (Circ) a classé ce métier comme cancérogène. « Cette étude montre que la poly-exposition est un risque cancérogène majeur, appuie Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l’Inserm. Il y a parfois de l’amiante, mais ça ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), un cancérogène, sont présents dans tous les feux. » Les matériaux cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), ainsi que les Pfas (polluants éternels) complètent parfois ce cocktail explosif.

Face à ces dangers, les 200 000 pompiers volontaires, les 42 000 professionnels et 13 000 militaires sont très mal informés. L’omerta règne. « Si on recrute des volontaires, payés 8 euros de l’heure, et qu’on leur dit qu’il y a un risque professionnel, ça va être compliqué de susciter des vocations… » pointe Sébastien Delavoux

Au contact des flammes, les soldats du feu portent la plupart du temps un appareil respiratoire isolant, mais les composants chimiques s’instillent aussi dans les pores de la peau. Quand l’incendie est éteint et que les pompiers s’occupent des déblais, desquels émanent toujours des fumées toxiques, ils n’ont en revanche pas d’équipement adéquat. « Le matériel doit évoluer et les durées d’exposition être limitées, estime Sébastien Delavoux. Le cancer de la vessie et les mésothéliomes doivent être reconnus comme maladies professionnelles. En attendant, quand il y a un cas de cancer, on entend encore que c’est parce que la personne avait fait de la soudure porte fermée dans son garage. Le lien n’est jamais fait avec le travail. »

La CGT s’est lancé dans un fastidieux recensement des cas de maladie

Depuis vingt ans, aucune étude épidémiologique d’ampleur n’a non plus été mise en route. La CGT s’est, elle, lancée dans un fastidieux recensement des cas de maladies. Dans le Nord, sur 1 700 agents, 60 sont ainsi touchés. « Notre exposition est reconnue, pas la contamination », précise Angelo Carlucci, de la CGT Sdis du 59 qui a également porté plainte en 2018. « On doit pouvoir bénéficier d’un suivi efficace pour voir ce qu’il se passera vingt-trente ans après ces contaminations. »

« Un collègue a été reconnu apte alors qu’ensuite on lui a découvert un cancer du poumon au stade terminal… »

Angelo Carlucci, de la CGT Sdis du 59

L’absence de prévention primaire, pourtant préconisée depuis longtemps, pèse lourd dans la balance. « Notre médecine du travail est une médecine d’aptitude, poursuit Angelo Carlucci. Un collègue a été reconnu apte alors qu’ensuite on lui a découvert un cancer du poumon au stade terminal… »

Certaines procédures laissent aussi à désirer. « Quand il y a eu les violences urbaines, en juin, on éteignait 20 feux par garde, se souvient Benjamin Calvario, de la CGT Sdis 59. Les tenues étaient polluées mais on les a gardées. Ensuite, tu pollues le véhicule et le centre de secours. Il n’y a aucune procédure de décontamination. Nous voulons ce qui existe en Belgique : ils ont des véhicules logistiques qui effectuent ce processus de décontamination. »

Selon Philippe De Castro, avocat de la CGT, l’objectif de cette plainte est donc « d’identifier les responsables sur le fondement de ce qui a été relaté. Il faut aussi provoquer un électrochoc. Seules des précautions mineures ont déjà été mises en place ».

Rappelant que, en dehors de la phase d’intervention, « un pompier volontaire est considéré comme un travailleur normal ». Dans le sillage de la CGT, qui souhaite faire de cette question une cause nationale, d’autres syndicats réfléchissent également à porter plainte.

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