Démise de ses fonctions de cheffe de service le 1er décembre, l’urgentiste à Laval Caroline Brémaud continue de se battre au grand jour pour sauver l’hôpital public.
Des pluies de soutien ruissellent sur sa blouse blanche. Depuis que Caroline Brémaud, ex-cheffe des urgences du centre hospitalier de Laval (Mayenne), a été démise de ses fonctions, des témoignages de sympathie des usagers, du monde médical, politique, mais aussi artistique ont afflué. Touchée, la médecin montre sur son portable sa caricature réalisée par l’auteur de BD Allan Barte. Elle est représentée en lanceuse d’alerte prête à appuyer sur un gros bouton rouge avant qu’un coup de pied ne la boute dehors… Si, au nom du devoir de réserve, de nombreux praticiens hospitaliers gardent le silence sur la crise qui ronge le système de soins, la médecin cite le serment d’Hippocrate pour expliquer ses prises de position publiques : « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »
Officiellement, son éviction au 1er décembre, fait suite à un rapport de 2021 proposant un même chef pour les urgences et le Smur : « La personne qui a été choisie travaille au Smur et pas aux urgences. Or, l’audit préconisait que le responsable soit présent dans les deux services », explique-t-elle. Avant de reprendre : « Je le savais, on m’avait prévenue que je serais sanctionnée si je continuais à parler. Je suis prête à payer le prix. »
Si certains confrères likent avec parcimonie ses posts sur les réseaux sociaux par peur des représailles, elle estime que, « paradoxalement, (m)’exprimer dans les médias l’a aussi protégée ». En 2021, quand elle était montée au front, avec les personnels, contre la fermeture des urgences la nuit, l’Humanité lui avait consacré sa une. « Mon oncle communiste l’avait affichée dans son Ehpad, c’était sa fierté », se réjouit-elle.
Des ambulances de nuit passées de huit… à trois
En Mayenne, troisième plus important désert médical français, la médecin de 42 ans estime qu’elle devenait également un « élément gênant » pour les réorganisations territoriales : « En janvier 2024, seules les urgences de Laval auraient dû rester ouvertes de nuit et celles de Mayenne et de Château-Gontier devaient fermer », faute de médecins, avance-t-elle.
Sans concertation des praticiens, le projet a suscité un tollé. « Il y a un manque total de transparence. L’agence régionale de santé a finalement retourné sa veste… Ce n’est pas la première fois qu’elle nous savonne la planche. Elle a réduit le nombre d’ambulances de nuit à trois contre huit dans le département parce qu’elles ne seraient pas suffisamment utilisées. Maintenant, les pompiers nous facturent les interventions effectuées à leur place », s’indigne-t-elle.
Urgentiste depuis seulement quatre ans, cheffe de service l’année suivante, Caroline Brémaud n’a cessé de dénoncer la dégradation de l’offre de soins à l’échelle locale et nationale. « Dès qu’on se plaint, le gouvernement nous répond: “Vous avez eu le Ségur de la santé”, soupire-t-elle. Mais cela a fait du mal aux praticiens hospitaliers. Nous avons perdu en termes d’échelons et de rémunération. Ce n’est pas comme ça qu’on va rendre l’hôpital public attractif ! Idem pour la loi Rist, qui a réduit l’intérim médical parce qu’il coûte cher. À la place, des praticiens “motif 2” sont recrutés. Ils sont payés mieux que moi ! Ça ne fonctionne pas. »
« Ces économies tuent l’hôpital à petit feu »
Alors que l’exécutif a limité la hausse de l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance-maladie) à 3,2 % pour 2024, contre un besoin estimé à 4,9 % par les acteurs du secteur, la médecin réplique : « Ces économies tuent l’hôpital à petit feu. On est obligé de prévenir la population qu’elle est en danger. Dans le Code de la santé publique, il est prévu que chacun puisse avoir un Smur ou des urgences à trente minutes de chez lui, ce n’est pas respecté… »
Dans cette gestion permanente de la pénurie, la docteur ne manque pourtant pas d’idées. « En attendant qu’il y ait plus de moyens, on peut prendre des décisions. En cas d’anévrisme, si le Smur est sorti, il faudrait, par exemple, qu’un médecin de garde à l’hôpital puisse intervenir. » Déterminée à provoquer une prise de conscience collective, la lanceuse d’alerte ne serait pas non plus contre « des gilets blancs de la santé », à l’image des gilets jaunes, « pour mettre la pression sur l’exécutif ».
« Des entrepreneurs m’accusent de nuire à l’attractivité de la Mayenne »
Son cheval de bataille agace certains : « Des entrepreneurs m’accusent de nuire à l’attractivité de la Mayenne, explique-t-elle. Pourquoi ne demandent-ils pas plutôt au gouvernement d’améliorer l’accès aux soins ? Certaines personnes se pensent protégées parce qu’elles vont consulter des spécialistes à Paris mais si elles font un AVC, que les urgences sont débordées, elles pourraient être amenées en 1 h 30 au CHU d’Angers (Maine-et-Loire)… La santé concerne tout le monde, sans appartenance sociale », pointe-t-elle, alors que les urgences de Laval ont été fermées 20 nuits par mois cet été et le sont encore 7 ou 8 nuits en ce moment, par manque de blouses blanches.
Cette ex-manageuse proche de ses équipes n’envisage pas la médecine autrement qu’avec un visage humain. « Il m’est déjà arrivé de faire un câlin à une patiente mère de famille, c’est comme ça. J’aime les gens », assume-t-elle.
Malgré la tempête, pas question de quitter cet hôpital qu’elle considère comme sa deuxième maison. « Mes quatre enfants sont nés là-bas. En 2011, mon fils qui a été secoué à six mois a été sauvé par mes collègues. J’y ai vécu les pires comme les meilleurs moments de ma vie et de ma carrière. »
Cette mère célibataire qui enchaîne parfois des sorties scolaires après des gardes de vingt-quatre heures a forgé sa détermination au fil de son parcours. « Mes parents m’avaient coupé les vivres en troisième année d’étude, raconte-t-elle. Je devais me lever à 5 heures du matin pour faire du baby-sitting et du ménage. J’étais rincée. Ce n’est donc pas cette sanction qui va me faire flancher. Si on me trouve irritante, c’est que je suis au bon endroit. Ma liberté d’expression, la solidarité et le devoir de soins sont des valeurs sur lesquelles je ne peux pas négocier », assène celle qui a pour habitude de ne jamais rien calculer.
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