mardi 16 juillet 2024

Autain, Ruffin et Corbière parlent et il faut les écouter


 Ces mardi et mercredi, trois figures de la gauche ont donné des interviews à trois grands journaux. Tous trois tracent, chacun avec ses mots, une vision, une stratégie pour l’avenir.

Ces trois « insoumis » se sont vus écarter par la direction du mouvement (que l’on pourrait, à raison, considérée comme parlant comme un seul homme) à l’occasion des législatives anticipées – d’une façon plus ou moins violente. Aujourd’hui sans appartenance partisane, tous trois tracent, chacun avec ses mots, une vision, une stratégie pour l’avenir, en répondant à cette question : après l’accord électoral baptisé Nouveau Front populaire, quelle gauche ?

Interviewée par nos confrères de Mediapart, si Clémentine Autain savoure la bascule qui s’est opérée à l’entre-deux-tours, permettant la déroute du RN, elle prévient : « Il ne faut pas que ce sursaut ne soit qu’un sursis ». Même prudence du côté de François Ruffin, qui se fait alarmiste auprès de Monde : « Il y a un effet trompe-l’œil. […] 57% des ouvriers ont voté pour le RN dès le premier tour. Perdre les ouvriers, c’est très grave pour la gauche : ce n’est pas seulement perdre des voix, c’est aussi perdre son âme. »

Une alerte qu’il, comme il le rappelle lui-même, avait déjà donné en 2022 : « La gauche souffrait de trois ‘trous’ : un trou géographique, la France des bourgs ; un trou démographique, les personnes âgées ; un trou social, les salariés modestes. Mais cette alerte n’a servi à rien. La situation a empiré, et même basculé. »

Ce sursaut électoral pousse la gauche à assumer sa part de l’histoire : « Consolider, structurer le NFP, pour reprendre les mots de Clémentine Autain. Si on veut donner de l’espoir, il faut donner à voir que ce rassemblement existe, qu’il est vivant. » Sans cela, Alexis Corbière, interrogé par Libération, redoute que le NFP finisse pas n’être qu’un « coup tactique » et, dixit Clémentine Autain, « on passera à côté de nos responsabilités historiques », comme à l’heure de la Nupes.

Vision et stratégie

Ruffin fait du Ruffin. Dans sa région, 13 députés sur 17 sont d’extrême droite. Le député-reporter, tout en misant sur la résistance face à cette expansion du RN, dénonce une gauche qui « a fait le choix de l’abandon ». Il raconte : « En 2022, alors que l’Assemblée nationale accueillait 89 députés RN, Jean-Luc Mélenchon déclarait, texto : ‘De toute façon, ces terres-là n’ont jamais accepté la démocratie et la République.’ Ça m’a stupéfié. Car quels sont ces endroits ? Le Pas-de-Calais, la Picardie, le Midi rouge, qui pendant un siècle ont envoyé des députés communistes et socialistes dans l’Hémicycle. »

Et François Ruffin de s’emporter contre cette stratégie qui mise « tout sur les quartiers et la jeunesse diplômée » – ce qu’il appelle les « tours » – quitte à laisser les « bourgs » tout-entier à Marine Le Pen : « Voilà la ligne : se renforcer là où on est déjà forts, quitte à s’affaiblir là où on est déjà faibles… Donc, dans les quartiers, on a des députés LFI élus dès le premier tour. Bravo ! Ce sont les cadres du mouvement, qui ont hérité des meilleures circonscriptions, où la gauche fait 70%, qui n’ont pas à mener de bagarre pour leurs sièges, et encore moins contre le RN. Et ce sont eux qui, depuis Paris, l’Île-de-France, les grandes métropoles, édictent une stratégie perdante pour le reste du pays ! Merci ! »

Même analyse chez Alexis Corbière, qui déplore le fait que « LFI a perdu onze députés, dont neuf dans des zones rurales. Nous ne prendrons pas le pouvoir avec une base sociale et électorale qui se réduit de scrutin en scrutin, ni avec une direction constituée d’un seul et unique profil sociologique. » Idem chez Clémentine Autain : « Si nous essuyons des défaites dans les territoires ruraux, c’est aussi parce que le discours de la gauche y a perdu pied. Le profil de LFI, qui lors des européennes s’est centré quasi exclusivement sur la si juste cause palestinienne, a permis de créer un affect dans les quartiers populaires à forte population issue de l’immigration. Mais si on pense que c’est uniquement en confortant ces points de force qu’on peut être majoritaires dans le pays, on fait fausse route. »

Las, François Ruffin se fait très cash : « Depuis deux ans, LFI, c’est la stratégie Terra Nova avec le ton du Nouveau Parti anticapitaliste »

Le problème Mélenchon

Autoritarisme, stratégie variant au gré du vent, clanisme, intimidation et absence de démocratie. La France insoumise ne vit que par et pour Jean-Luc Mélenchon. Clémentine Autain le dénonce depuis des années. Alexis Corbière – mélenchoniste de la première minute de la première heure – vient d’en faire la douloureuse expérience. François Ruffin a bien failli en perdre son siège : « Pendant trois semaines, nous avons porté notre croix, un sac à dos rempli de pierres, on s’est heurtés à un mur, à un nom : ‘Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon.’ » Et il jure que sa campagne a basculé en sa faveur du moment où il a acté sa rupture avec Jean-Luc Mélenchon. « Le peuple de gauche veut la démocratie, il veut le pluralisme, il veut un autre profil que le bruit et la fureur », assure Clémentine Autain. D’autant que cette voie-là est à bout de souffle : le groupe LFI se rétrécie et les sociaux-démocrates reprennent du poil de la bête.

« Quand on voit l’énergie démente dépensée par la direction insoumise dans cette campagne pour faire perdre [Corbière, Simonnet, Davi et Garrido, ndlr], au détriment de l’investissement contre le RN, on se dit que la victoire est immense. Et que l’appareil ne fait pas tout. C’est l’orientation la plus juste qui l’a emporté », abonde la députée de Seine-Saint-Denis.

Ceci étant dit, les voilà, eux trois mais aussi Hendrik Davi et Danielle Simonnet, purgés de LFI et réélus, sans groupe à l’Assemblée auquel se rattacher. Une nouvelle bataille s’annonce alors. En coulisses, la Mélenchonie s’active pour que les communistes ne les accueillent pas. Mais plutôt que d’être « sauvés » par un groupe existant, l’idée serait d’en créer un nouveau. Pour Ruffin, c’est un « groupe trait d’union ; un groupe qui rassemble les communistes, les écologistes, les élus du parti Génération.s et nous ». Pour Autain, c’est « a minima un intergroupe à l’Assemblée nationale, un cadre régulier d’animation du NFP et la possibilité d’adhésions directes ». Pour Corbière, c’est « un grand groupe NFP, auquel appartiennent tous les députés élus à gauche [qui] doit fonctionner de la manière la plus démocratique qui soit ». Réponse au plus tard le 18 juillet, date de formation de la nouvelle Assemblée.

Et après ?

Gouverner ? Ok. Encore faut-il « au plus vite faire une proposition à Emmanuel Macron de premier ou première ministre », rappelle Clémentine Autain. Mais gouverner comment et, surtout, avec qui, étant donné que le NFP ne dispose pas d’une majorité ? Pour Ruffin, c’est clair, il faut qu’Emmanuel Macron « demande à ses députés macronistes de ne pas pratiquer, à l’Assemblée nationale, une opposition de principe ». Et pour Autain, c’est tout aussi limpide, « il faut gouverner sur une base claire, celle du programme du NFP, et pas dans le cadre d’une coalition avec Renaissance, qui serait le bricolage de deux visions de la société qu’on ne peut pas raccorder ».

Ensuite, l’élu de la Somme voit « des coalitions sur les textes ». Mais au-delà, c’est la méthode qui lui importe : « Il ne faudra pas gouverner comme l’a fait le chef de l’État ces deux dernières années, avec arrogance et toute-puissance. Il faudra le faire avec respect pour les Français, avec tendresse même. On doit prendre soin des gens pour prendre soin de la République. »

Voilà le minimum syndical qui attend la gauche en 2024. Le début de l’histoire car, comme le souligne fort à propos Clémentine Autain, « nous n’avons pas encore de majorité, il reste la prochaine législative et la présidentielle à gagner ». Reste à « faire mieux » qu’aux précédentes échéances. Car, hormis sur la planète LFI, 2017 et 2022, on n’appelle pas ça des victoires. 

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