C’est peu dire que les coups de rabot successifs, annoncés ces derniers mois en catastrophe par Bercy, et son programme de stabilité présenté en avril n’auront pas convaincu la Cour des comptes. De « préoccupante », en avril, la situation des finances publiques aurait désormais viré à « inquiétante », selon les déclarations du président de la Cour, Pierre Moscovici.
À la veille d’une réunion où la Commission européenne compte soumettre l’ouverture d’une procédure pour « déficit excessif » à l’encontre de sept pays de l’Union, dont la France, le rapport présenté lundi 15 juillet par les magistrats de la Rue Cambon, à Paris, sur « la situation et les perspectives des finances publiques », enfonce le clou en ce qui concerne la politique menée par Bercy. « Manque d’anticipation », « absence de crédibilité »… le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, sans être cité, en prend pour son grade dans la responsabilité de cette situation jugée « très dégradée ».
Déficit de 0,6 point au-dessus des prévisions
Dans un discours qui vaut aussi avertissement au gouvernement à venir, le président de la Cour des comptes, en livrant le chiffre qui fâche – un déficit public établi à 5,5 % du PIB, soit 154 milliards d’euros – n’a pas manqué d’alerter sur l’urgence d’une « action résolue » pour faire face à « ce dérapage ». Faute de quoi, des investissements liés notamment à la décarbonation de l’économie et à la transition écologique en pâtiraient, relève la haute juridiction.
Alors qu’il aurait dû commencer à être résorbé en 2023, le déficit public caracole à 0,6 point au-dessus des prévisions (4,9 %), malgré un contexte 2023, « bien meilleur », favorisé notamment par la fin du « quoi qu’il en coûte » – dispositif économique de soutien instauré par l’exécutif pour affronter la crise sanitaire du Covid –, qui laissait présager des résultats bien en deçà de 5,5 %.
Plusieurs facteurs seraient à l’origine de cette « très mauvaise année 2023 ». À savoir : une faible croissance des prélèvements obligatoires qui aurait affecté la plupart des recettes publiques (notamment celles issues des droits de mutation à titre onéreux, des taxes liées à la vente d’un bien immobilier).
Cette faible élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, qui serait davantage un retour à la normale après deux années exceptionnelles, 2021-2022, post-Covid qu’un « accident », aurait, selon la Cour des comptes, dû être anticipée dans les prévisions du gouvernement. Cela n’a pas été le cas.
Autre facteur : les « mesures discrétionnaires » de baisse d’impôts et de cotisations, soit 10,7 milliards d’euros en moins dans les caisses de l’État. Combinées à « l’absence d’économies structurelles », elles auraient dû inciter le gouvernement à la vigilance et à prévoir des « réajustements clairs sur les dépenses comme sur les recettes ». Il n’en fut rien.
D’où, selon la Cour des comptes, un creusement de la dette publique, estimée à 3 100 milliards d’euros, soit près de 110 % de PIB. Et la juridiction de balayer l’argument selon lequel ce gouffre serait imputable à l’augmentation des dépenses liées à la gestion du Covid : « Les partenaires de la zone euro » qui ont pris « des mesures exactement comparables » ne font pas face aux mêmes résultats.
Des perspectives pessimistes
En 2025, la dette publique française devrait ainsi excéder de 15,2 points du PIB, son niveau d’avant la crise, contre 3,7 points en Allemagne, 5,9 points en Espagne et 4,7 points en Italie. « Nous avons pris 10 points de plus que nos partenaires en termes de dette, avec les mêmes mesures Covid », pointe Pierre Moscovici.
Quid des perspectives ? Elles ne prêteraient pas plus à l’optimisme. La Cour des comptes estime que le train de mesures annoncé par Bruno Le Maire au cours des cinq derniers mois pour ramener le déficit à 5,1 % du PIB en 2024 – annulation par décret de 10 milliards d’euros de crédits à plusieurs ministères, relèvement du taux de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité, qui devrait rapporter près de 5 milliards d’euros, et la série d’arbitrages annoncée le 10 juillet, pour un rendement de 10 milliards – serait loin de dissiper « les risques importants pesant sur les finances publiques de l’année en cours », mais également sur l’ensemble de la trajectoire 2023-2027.
En cause : le flou de « mesures peu documentées » – comme le projet de taxe sur les rentes énergétiques, supposé rapporter 3 milliards d’euros en 2024, mais qui reste sans traduction législative – et le « manque de crédibilité » des objectifs affichés, dans un contexte propice à la dépense, en raison de la crise agricole et des événements en Nouvelle-Calédonie.
Pour Pierre Moscovici, la balle est désormais dans le camp du gouvernement à venir, qu’il soit « de droite ou de gauche », pour « infirmer ou confirmer ces mesures ».
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