lundi 1 juillet 2024

L’Union européenne au lendemain des élections européennes


 La crise française est le précipité d’éléments de dislocation politique que l’on retrouve, à des degrés divers, dans un certain nombre de pays de l’Union européenne. Cela est singulièrement le cas de l’Allemagne et de l’Italie. Les résultats montrent en effet une crise spécifique des pays du centre de la construction capitaliste de l’UE.

1. Les pays du centre ou les premières puissances économiques de l’UE subissent une extrême droite puissante, nourrie par le poids des fractures territoriales produites par la mondialisation capitaliste : Allemagne, Pays-Bas (où un gouvernement dominé par l’extrême droite est en cours de constitution), Italie, Autriche (le FPÖ sort victorieux du scrutin avec 27 %, alors qu’il était sorti affaibli des élections en 2019), Giorgia Meloni est désormais en position de force et centrale pour peser sur la recomposition des rapports de force à l’échelle de l’UE. La totalité des députés d’extrême droite (groupe ECR de Meloni, groupe ID du RN, auxquels s’adjoignent des non-inscrits) avoisine 170 députés. Meloni obtient 27 % des voix en Italie. C’est la grande gagnante des élections européennes.

2. En Europe de l’Est, de nouveaux partis d’extrême droite émergent et concurrencent les anciens cadres, qui sont un peu usés par l’exercice du pouvoir. En Hongrie, Orban recule, mais il fait face à la concurrence d’un autre parti conservateur. Le Fidesz a recueilli plus de 44 % des voix à comparer à un résultat de 52,5 % au précédent scrutin de 2019. Il s’agit de sa pire performance depuis le retour d’Orban à la tête du pays en 2010. Le PiS polonais échoue dans son objectif de redevenir le premier parti du pays, mais il est concurrencé sur sa droite par « Confédération », qui recueille 12 % et gagne 6 sièges. En Roumanie, le Parti pour l’unité des Roumains, qui gagne 5 sièges sur une ligne trumpiste et favorable à l’annexion de la Moldavie.

3. Les gouvernements des principaux pays de l’UE sortent affaiblis. Les partis de la coalition allemande (SPD, Verts, libéraux) sont laminés. Le gouvernement espagnol est contesté par la droite qui arrive en tête et par l’extrême droite (Vox ainsi qu’un nouveau parti « dégagiste »). Le seul gouvernement des pays qui figurent parmi les principales puissances de l’UE qui enregistre un succès est celui de Meloni.

4. Les conservateurs sont en tête dans 12 pays européens, ce qui semble assurer la reconduite d’Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission, alors que celle-ci a fait de nombreuses ouvertures à Meloni et à son groupe durant la campagne. Dans l’ensemble, le Parlement européen est désormais plus à droite que durant la mandature précédente (le PPE gagne 9 sièges, avec 185 députés, il reste le premier groupe du Parlement). L’évolution de la droite française est donc à rebours d’une évolution européenne, y compris en Allemagne. Sa situation est plus proche de la situation italienne.

5. Les Verts et les centristes essuient un échec. Le groupe centriste perd 23 députés (avec un total de 79 sièges) et celui des Verts 19 (avec un total de 52 sièges). Cela est notamment le cas en France et en Allemagne.

6. L’évolution politique n’est pas la même en Europe du nord (Danemark, Suède, Finlande) où la gauche et les Verts progressent. Au Danemark, le parti qui arrive en tête est un parti écologiste. Il faut noter que ces partis ont développé une approche très atlantiste. Ce sont des pays où l’extrême droite recule. En Suède, le parti des Démocrates de Suède recule pour la première fois de son histoire (- 2,1 point à 13,2 %). Les Verts font une percée avec 13,7 % des voix, qui les placent en troisième position. Le Parti de Gauche progresse également (+ 4,3 points à 11,1 %). Les sociaux-démocrates maintiennent leur position et restent en tête avec 25,1 %. En Finlande, le parti l'Alliance de gauche réalise une percée spectaculaire avec 17,3 % des suffrages, soit quatre points de plus qu'en 2019. Le Parti des Finlandais, formation d'extrême droite qui participe à la coalition gouvernementale, recule à 7,6 %, soit une chute de 6,2 points. Au Danemark, le Parti populaire socialiste est arrivé en tête et en nette progression de 4,2 points par rapport à 2019, avec 17,4 %.

7. Le groupe The Left sort des élections avec une composition et des rapports de force internes très nouveaux, ce qui pose la question de son futur contour politique et de son mode de fonctionnement. Les partis qui progressent le plus sont : la FI qui, avec 9 députés, sera de loin la première force du groupe ; et l’Alliance de gauche de Finlande qui passe de 1 à 3 députés.

 

Dans le détail :

 

Pays

Etat de la gauche

Allemagne

Die Linke perd 2 sièges (de 5 à 3). L’Alliance Sarah Wagenknecht remporte 6 sièges, notamment dans l’Est du pays. Ce dernier groupe ne siègera pas dans le groupe de la gauche et cherche à constituer un autre regroupement au Parlement.

Autriche

Le KPO obtient 3 %, alors que le seuil d’éligibilité est à 4 %. Il s’agit d’une progression intéressante, mais le KPO vise davantage les élections législatives qui auront lieu en septembre.

Belgique

Le pays connaissait le même jour des élections législatives, régionales et européennes. Le PTB enregistre une progression (de 12 à 14 députés fédéraux, de 1 à 2 députés européens), moindre cependant que ce qu’on pouvait lui prédire.

Chypre

AKEL perd un de ses deux sièges. Le paysage chypriote est marqué par l’essor de l’extrême droite et l’émergence d’un youtubeur qui a fait campagne sur la théorisation du désintérêt pour la politique.

Danemark

L’alliance rouge verte garde un siège.

Espagne

  • Sumar, mené par Yolanda Diaz, enregistre un recul non négligeable par rapport aux législatives de juillet 2023 en passant de 12 à 6 %. 3 députés européens sont élus. Mais le candidat du PCE/Gauche Unie, qui était en 4e position, n’est pas élu. Le PCE et IU disparaissent donc du Parlement européen. Une partie des élus de Sumar va siéger dans le groupe des Verts. Une députée élue parmi les trois siégera dans le groupe « The Left ». Podemos survit avec 2 députés. La coalition des régionalistes nationalistes progresse. Bildu (gauche nationaliste basque) obtient 1 député.

Finlande

L’Alliance de gauche, qui a participé au gouvernement qui a organisé l’entrée dans l’OTAN, passe de 1 à 3 députés.

Grèce

Syriza semble pour l’instant avoir enrayé son déclin (15 %). Le parti récupère 4 députés, ce qui correspond au nombre de sièges obtenu en 2019. Les partis issus des différentes scissions sont marginalisés.

Le KKE, qui ne siège pas dans le groupe the Left, garde 2 députés et enregistre une nouvelle progression électorale (9,3 % des voix).

Irlande

Le Sinn Féin obtient 11 % des voix, ce qui est un échec relatif. L’Irlande connaît désormais une poussée d’extrême droite (6 % des voix).

Italie

La coalition « Sinistra Verdi » remporte un score inattendu à 6,5 %, ce qui lui confère 6 sièges. 2 des députés élus, de Sinistra Italiana, vont siéger dans le groupe « the Left ». La coalition de Refondation communiste obtient 2,5 %. Elle reste donc sous le seuil d’éligibilité.

Pays-Bas

Le Parti socialiste échoue à reconquérir un siège. Le parti des animaux garde le sien.

Portugal

Le PCP sauve in extremis et de justesse un de ses deux sièges. Le Bloc de gauche connaît la même évolution.

Suède

Le Parti de gauche suit une évolution similaire à son alter ego finlandais et gagne un siège

République tchèque

Le KSCM (Parti communiste de Bohême Moravie) a constitué une coalition qui a obtenu 2 sièges, ce qui est une des surprises de ce scrutin. Un des deux élus est membre du KSCM.

 

Cela illustre une évolution des rapports de force au sein du groupe « the Left » en faveur de la FI et de la gauche nordique. Les communistes sortent très affaiblis de ce scrutin. La disparition des communistes espagnols du Parlement européen est un évènement majeur. Ces évolutions laissent craindre une reconfiguration organisationnelle et politique du groupe, avec l’abandon de son caractère confédéral, qui permet son unité. Le passage à un système majoritaire et centralisé, s’il est acté, ouvrira de nouvelles tensions dont la gauche européenne n’a nullement besoin et qui seraient hautement préjudiciables à la vue des rapports politiques globaux.

8. C’est dans ce contexte que se réunit demain le Conseil européen qui décidera de la nomination aux postes clés de l’UE. Ursula von der Leyen devrait être reconduite à la tête de la Commission, en poursuivant son rapprochement avec Meloni. La première ministre estonienne Kaja Kallas, libérale, devrait hériter des fonctions de cheffe de la diplomatie. Cette nomination, si elle est confirmée, est très inquiétante, car elle accentuerait l’inscription de l’UE dans une politique de blocs et de généralisation de la guerre. Kallas s’est prononcée à plusieurs reprises non seulement contre toute perspective de paix en Ukraine, mais encore en faveur de la dislocation de la Russie en petits États. Ces deux nominations seraient donc le signe d’un cours politique dangereux pour les peuples européens.

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