Le basculement du pays à l’extrême droite serait un bouleversement politique continental. Ce ne serait pas seulement le 2e pays fondateur de l’UE à être dirigé par un parti dont l’histoire plonge dans celle des fascismes européens, après l’Italie ; ce serait également une rupture politique avec ce que peut représenter notre pays depuis la Révolution française, et ce n’est pas un vain mot en Europe, comme le montrent les échanges que nous avons pu avoir avec nos partenaires européens ces dernières semaines.
L’arrivée du RN à Matignon représenterait un précipité du fait que l’extrême droite est aujourd’hui en capacité de se placer au cœur des rapports de force et des politiques européennes. Cela est la conséquence de la crise politique en Europe, des dévastations provoquées par les politiques néolibérales, de l’exacerbation des paniques identitaires, des décompositions idéologiques et du choix d’une partie plus ou moins importante en Europe de la droite et des bourgeoisies nationales d’y trouver une solution autoritaire à la crise du capitalisme.
Elle coïnciderait en premier lieu avec le début de la présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne, qui va durer tout au long du 2e semestre de 2024. Celle-ci se place délibérément sous l’égide du trumpisme, alors que les élections présidentielles américaines s’annoncent plus dangereuses que jamais après le krach moral de Biden. Ce n’est pas simplement en calquant la divise de Trump (« Make Europe great again ») mais également en défendant des priorités politiques axées sur l’immigration que le gouvernement hongrois imprime sa présidence.
L’accession au pouvoir de l’extrême droite en Europe représenterait un accélérateur pour l’extrême droite dans divers pays. Le gouvernement néerlandais vient d’achever sa Constitution, au sein de laquelle le parti d’extrême droite de Geert Wilders occupe une place centrale. Les négociations en cours en Belgique, suite aux élections fédérales du 9 juin, se mènent sous la pression des deux partis d’extrême droite flamande, qui sont les premiers partis du pays. En Autriche, les sondages en vue des élections fédérales du 29 septembre prochain donnent le FPO d’extrême droite largement en tête des intentions de vote.
Des forces montantes d’extrême droite se sentiraient légitimées : on peut citer le cas de Chega au Portugal, avec lequel le RN affiche sa proximité et qui arrive en 3e position des élections européennes avec presque 10 % ; ou bien encore le phénomène nouveau de l’essor d’une extrême droite en Irlande qui a arraché un siège à Bruxelles le 9 juin.
Enfin et surtout la formation possible d’un axe Paris-Rome sera facteur d’évolutions des politiques européennes sous l’égide de l’extrême droite. Le gouvernement de Giorgia Meloni s’impose comme le grand vainqueur des élections européennes non seulement en Italie mais dans l’ensemble de l’Europe.
L’accession du RN au pouvoir en France aurait donc des conséquences majeures en Europe. Ce ne serait pas un pays d’extrême droite « de plus », mais cela accélérerait les recompositions politiques en cours à l’échelle du continent centrée sur un gouvernement au pouvoir en France qui fait de sa priorité politique l’instauration d’une « priorité nationale », c’est-à-dire d’une recomposition de sociétés sur des bases d’exclusion racistes et xénophobes.
Tout cela souligne la centralité de la bataille que mène la gauche française avec le Nouveau Front populaire, et du PCF en son sein, contre une telle perspective ; ainsi que celle de l’impératif de la responsabilité républicaine des forces politiques du pays, à laquelle le PCF a appelé. Les quelques jours qui nous séparent du second tour seront donc déterminants.
Enfin, la responsabilité historique de la gauche européenne est plus importante que jamais : celle de travailler non seulement des bases politiques mais aussi un espoir et une vision transformatrice, à vocation majoritaire. Aussi, toute tentative suscitant la division des cadres européens existants ou remettant en cause les modalités de fonctionnement permettant le débat et la gestion de sa diversité et de son pluralisme est une faute majeure. µ
Vincent Boulet
membre du Comité exécutif national
en charge des relations internationales
Article publié dans CommunisteS, N°1003, 3 juillet 2024.
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