Il leur fallait se sauver à tout prix. Quitte à verser dans la tambouille. Quitte à oublier que les Français viennent de voter aux législatives. Mais voilà venue la « clarification » attendue par Emmanuel Macron, qui a tout fait pour éviter d’avoir à reconnaître sa défaite électorale. À l’issue des trois tours de scrutin pour désigner le président de l’Assemblée nationale, le camp présidentiel a réalisé un hold-up. Les députés ont réélu Yaël Braun-Pivet, avec 220 voix.
Dont 17 voix de ministres démissionnaires toujours en poste au mépris de la séparation des pouvoirs inscrite dans la Constitution. La titulaire du Perchoir pour la mandature à venir ne doit sa survie qu’à un deal d’arrière-cuisine avec « Les Républicains » (LR), qui l’ont aidé à battre le communiste et candidat commun du Nouveau Front populaire (NFP), André Chassaigne, qui a rassemblé 207 voix.
« Honte à tous ces députés qui ont choisi une alliance de fortune, celle du camp présidentiel avec les droites. Leur politique est rejetée, mais ils veulent l’imposer. C’est un coup de force contre la démocratie », a réagi le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Et l’écologiste Benoît Biteau d’appuyer : « Il ne faudrait pas que les macronistes le prennent à nouveau comme la validation de leur projet politique. »
Manigances et coup de Trafalgar
Dès jeudi matin, le bruit d’un coup de Trafalgar parcourt les salles et jardins du Palais Bourbon. La presse est à l’affût de la moindre rumeur pouvant donner une indication sur l’issue du scrutin prévu à 15 heures le jour même. Les caméras, les micros tendus et les pages de carnets noircies sont légion, signe que ce 18 juillet est l’une de ces dates que l’Histoire retiendra. Les députés passent, s’arrêtent pour un duplex. Un long flottement s’installe.
En coulisses, les manigances se trament dans l’objectif de faire perdre la gauche, favorite pour le Perchoir car elle dispose du plus grand nombre de sièges. Quelques échos des tractations arrivent aux journalistes. Et les divers élus de droite rodent leur récit, à l’instar de François-Xavier Ceccoli, qui assure que « le pays ne peut pas être paralysé » par une victoire du NFP. Son collègue Philippe Gosselin dit ne « pas avoir envie de (lui) donner les clés de cette maison, car (il) n’oublie pas que le président de l’Assemblée nationale nomme aussi des membres du Conseil constitutionnel ». L’accord de gouvernement demandé par la droite à la Macronie est en marche.
L’ex-président du groupe LR Olivier Marleix débarque même avec un exemplaire de la Grande Peur de juillet 1789 dans un petit groupe qui discute, dont l’ancien ministre d’Emmanuel Macron Guillaume Kasbarian. « Notre pays vit une période de grande instabilité. Nous vivons une crise économique, politique et institutionnelle avec un État impuissant. (…) Il faut donc un grand esprit de responsabilité pour éviter le pire. »
D’après l’Opinion, l’actuel député à la tête de ce groupe, Laurent Wauquiez, a même réalisé le braquage du siècle : troquer sept postes, dont deux vice-présidences, la présidence de la commission des Finances et un poste de questeur, contre le soutien de ses 46 députés à une candidature macroniste. « On ne veut pas d’un communiste au Perchoir et nous ferons tout pour l’éviter », plastronne aussi le député d’extrême droite Kévin Mauvieux sur LCP.
Le piège est bien en place mais le NFP continue, en début d’après-midi, d’espérer qu’un sursaut soit encore possible, qu’il y ait « un trou de souris », comme le dit la communiste Elsa Faucillon. « Soit nous avons un président légitime – André Chassaigne – soit une présidente illégitime, estime l’insoumise Aurélie Trouvé. À quel moment les LR ont-ils expliqué à leurs électeurs qu’ils étaient des macronistes ? »
La gauche compte sur l’expérience, la connaissance des rouages de l’institution et les bonnes relations en dehors du NFP de son candidat pour faire la différence. « Il a montré son indépendance et sa sincérité. Il n’est pas prisonnier du président de la République », loue Benjamin Lucas, porte-parole du groupe Écologiste et social. Avant d’être interrompu par l’élu du Modem Romain Daubié : « C’est un type bien qui, contrairement à d’autres, sait dire bonjour. Il va attirer des voix. »
Mais le Palais Bourbon est en lévitation, suspendu aux combines : vont-elles suffire aux macronistes pour sauver la peau du président ? Les bruits se font de plus en plus insistants, irritant nombre de parlementaires. Comme le régionaliste du groupe centriste Liot Paul Molac : « Si c’est un macroniste au Perchoir, ça voudra dire qu’on fait comme s’il n’y avait pas eu d’élections législatives. Ce serait un très mauvais signal envoyé aux deux tiers des Français. »
Peu avant 15 heures, la garde républicaine prend place, prête à accompagner le doyen de cette Assemblée vers l’Hémicycle. Devant les sabres au clair des militaires, le parlementaire RN José Gonzalez, 81 ans, s’avance salle des Pas-Perdus. Sur les fauteuils rouges, 574 des 577 députés prennent place par ordre alphabétique.
Situation qui oblige des députés à s’asseoir là où le RN s’installe habituellement et les insoumis Antoine Léaument et Sophia Chikirou, par exemple, à siéger respectivement à côté de Marine Le Pen et Sébastien Chenu. « Il y a un cordon sanitaire entre nous », en rit le premier. Et toute l’Assemblée doit supporter de voir au Perchoir l’ouverture de la XVIIe législature présidée par un nostalgique de l’OAS qui, comme en 2022, regrette l’Algérie française, en évoquant son « déchirant déracinement ».
Un à un, les parlementaires montent à la tribune pour glisser un bulletin dans l’urne. Sauf le député Génération.s Sébastien Peytavie, en fauteuil roulant : « J’ai dû confier mon vote à un huissier. Une institution encore incapable d’adapter le vote pour les personnes handicapées. La maison du peuple, vous dîtes ? » a-t-il réagi sur X. Il a fallu attendre le troisième tour pour que l’urne lui soit amenée après l’intervention du communiste Stéphane Peu. La plupart des élus de gauche refusent de serrer la main de l’assesseur du jour, le benjamin de l’Hémicycle issu des bancs du RN. Il est un peu plus de 17 heures lorsque les résultats du premier tour tombent.
Tout change pour que rien ne change
Avec 200 voix, André Chassaigne devance alors le lepéniste Sébastien Chenu (142 voix) et Yaël Braun-Pivet (124). Le LR Philippe Juvin (48) et la députée Horizons Naïma Moutchou (38) se retirent en faveur de leur alliée macroniste quand le Liot Charles de Courson (18) se maintient pour le second scrutin. Le camp présidentiel pèse alors 210 voix. « Nous appelons tous ceux qui ont déjà fait barrage républicain dans les urnes ou qui en ont bénéficié de se reporter vers André Chassaigne, qui va permettre d’apaiser le débat », plaide l’écologiste Léa Balage El Mariky.
L’optimisme ne fait alors pas loi chez les parlementaires de gauche. Deux heures plus tard, le deuxième tour accouche de ce résultat : Yaël Braun-Pivet (210), André Chassaigne (202), Sébastien Chenu (143) et Charles de Courson (12). À la surprise générale, ce dernier retire sa candidature et ouvre une voie à la victoire d’André Chassaigne, lequel a 8 voix de retard. En cas d’égalité, le communiste, plus âgé, l’emporterait.
Mais, vers 20 h 30, Yaël Braun-Pivet est annoncée gagnante par José Gonzalez. Elle récolte 13 voix de plus que son principal adversaire. « Nous avons pu voir un pays inquiet, fracturé. Nous avons aujourd’hui une immense responsabilité, a-t-elle dit une fois installée au Perchoir. Nous devons apporter de nouvelles solutions avec de nouvelles méthodes. (…) Nous n’avons pas le choix. Nous devons nous entendre. Nous devons coopérer. »
Le député communiste et coprésident du groupe GDR André Chassaigne répond : « Nous serons dans l’Assemblée les défenseurs du pouvoir législatif qui ne doit pas être la courroie de transmission de quelque exécutif que ce soit. Le vote des Français a été volé par une alliance contre nature. Que les députés LR qui ont permis cela se déclarent dans l’opposition est malsain et nauséabond. »
Celle qui fut vilipendée pour ses innombrables coups de force rempile, comme si les Français n’avaient pas voté. Emmanuel Macron va désormais s’appuyer sur ce résultat pour empêcher l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elle n’a pourtant pas dit son dernier mot.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire