Non, le coût du travail n’est pas trop élevé, c’est la rapacité de l’oligarchie qu’il faut attaquer ! Ex-directeur des affaires sociales de la fédération patronale des assurances, Éric Verhaeghe claque la porte du Medef. Il dénonce une doctrine économique qui met en péril la société et la démocratie.
Vous venez de quitter avec fracas le Medef que vous représentiez dans de nombreux organismes paritaires comme, par exemple, l’Apec, la Cnav ou encore l’Unedic. Dans le même élan, vous publiez un livre (1) dans lequel vous remettez en cause, un à un, tous les dogmes économiques du patronat. Quel a été le déclic ?
Éric Verhaeghe. J’ai voulu exercer un droit d’inventaire sur la pensée économique dominante depuis quarante ans. Né à la fin des années 1960, je suis d’une génération qui n’a jamais connu que la crise, une génération qui a vécu dans la nostalgie des Trente Glorieuses. Avec l’implosion du modèle soviétique, quand l’économie de marché est restée comme seul système global, il y a eu un pari : plus on développera ce système, plus vite on arrivera à l’essence du marché en concurrence libre et parfaite, plus vite on sera prospères et on renouera facilement avec la croissance des Trente Glorieuses. Pendant la décennie 1980, on a fait de la privatisation à tout-va ; pendant la décennie 1990, on a abaissé le coût du travail on a quand même dépensé 1,5 point de PIB en allégements de charges Le résultat est terrible. En réalité, au bout de quarante ans, non seulement ça ne va pas mieux, mais au contraire, le système est en train de s’autodétruire. Cette crise n’est pas imputable à la rigidité du marché, mais au contraire, à sa flexibilité. Cela oblige à remettre en cause nos vieilles croyances. Collectivement, les élites de ce pays ne peuvent plus continuer à soutenir que les recettes d’avant 2008 vont nous sortir du marasme, elles sont la cause de la crise !
« Prédateurs », « nomenklatura capitaliste », « médias stipendiés par le pouvoir » Ce vocabulaire fleuri auquel vous recourez dans votre livre peut surprendre venant d’un acteur du système
Éric Verhaeghe. Ce sont les mots de quelqu’un qui a vu Aujourd’hui, chacun doit prendre sa responsabilité. Je m’adresse aux citoyens. Et les patrons sont des citoyens, aussi. Croire que travailler dans l’univers patronal signifie endosser forcément des doctrines qui sont dangereuses pour l’économie de marché est une erreur. Et je dis très clairement qu’aujourd’hui la doctrine du Medef est dangereuse parce qu’elle est potentiellement productrice d’un risque systémique. A mes yeux, ce qui ressort de la crise de 2008, c’est que la pérennité de l’économie de marché tient beaucoup plus aux salariés qu’à leurs patrons.
En démontant les impératifs catégoriques de la modération salariale et des baisses d’impôts, vous vous attaquez au cœur des revendications traditionnelles du patronat. Le Medef n’est donc pas aussi « réaliste » qu’il le prétend ?
Éric Verhaeghe. Le Medef de Laurence Parisot nous parle d’un monde qui n’existe pas. Il nous parle de gens trop payés, d’un état qui a trop de recettes fiscales, il fait un certain nombre d’observations économiques qui sont totalement à côté de la plaque. Je me souviens d’une réunion, au mois de novembre 2008, sur la protection sociale, où les patrons présents se sont livrés à un exercice de comparaison de leurs retraites chapeau. Ce jour-là, on avait sorti un listing avec les 500 plus grosses retraites chapeau de France, et la seule question qui se posait, c’était : qui est dans le top 100 ? La réalité de la France, aujourd’hui, la voilà : d’un côté, des salariés qui ont envie que ça marche, et de l’autre, un certain nombre de patrons dont la première préoccupation en temps de crise est de vérifier qu’ils sont mieux payés que les autres. J’appelle ça le syndrome « 10 mai 1940 » : en pleine tourmente, l’obsession de l’état-major est de s’occuper de ses prébendes. Est-ce que mes mots sont durs ? Oui, ils le sont, mais parce que la réalité l’est !
A maintes reprises, vous comparez les privilégiés d’aujourd’hui à la noblesse de l’Ancien Régime
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