Alors que l’absorption de Pierrefitte-sur-Seine par Saint-Denis est prévue pour janvier 2025, des élus et des citoyens s’y opposent radicalement, dénonçant une perte d’identité et des suppressions de postes.
Saint-Denis sera bientôt la deuxième ville la plus peuplée d’Île-de-France après Paris, devant Boulogne-Billancourt. À partir du 1er janvier 2025, la commune va s’unir avec celle de Pierrefitte-sur-Seine et comptera ainsi près de 140 700 habitants. Une « fusion » considérée comme historique par les deux maires socialistes respectifs, Mathieu Hanotin et Michel Fourcade. Ou plutôt une absorption, dénoncent de nombreux habitants – en tout cas ceux mis au courant de ce projet, qui ne figurait dans aucun des deux programmes lors des municipales de 2020. Devant la mairie de Pierrefitte, Farid Aïd se fait lanceur d’alerte. « Nous avons été dans les quartiers et devant les écoles des deux communes pour prévenir la population qui n’est pas au courant de cette décision. », explique l’élu communiste sur la place de la Libération. Les habitants s’interrogent : « Allons-nous garder notre code postal et le nom de nos rues ? », « Une fusion ? Pourquoi ? Personne ne nous a prévenus, on n’a pas eu notre mot à dire », « On va perdre notre identité ! ».
Réduction de personnel dans les services publics
En grande difficulté économique, Pierrefitte peine à se redresser et espère, grâce à cet accord avec Saint-Denis, se renflouer. Michel Fourcade assure que « cette fusion sera bénéfique pour la population. Surtout dans un contexte économique complexe qui risque de s’aggraver dans les mois ou les années à venir ». Fabulation ? Lors de la présentation du projet, les élus ont appris que cette fusion ne permettrait pas de dégager plus de moyens pour ce qui deviendra, de fait, un quartier de Saint-Denis. Au contraire : « Des économies de 2,9 millions d’euros seront faites sur la masse salariale dès la première année. C’est une politique d’austérité », tranche Sofia Boutrih, conseillère municipale et territoriale communiste de Saint-Denis. Les services seront mutualisés et « les personnes qui partiront à la retraite ne seront pas remplacées ».
Mais en quoi consiste alors cette fusion ? Selon Mathieu Hanotin, il n’y aurait que des avantages : une police municipale en fonction 24h/24, la cantine gratuite, l’élargissement d’une politique de lutte contre la délinquance… « Toutes les mesures présentes à Saint-Denis seront appliquées à Pierrefitte », explique le maire. Il envisage aussi « d’augmenter de 15 % la capacité à investir, c’est-à-dire 10 millions d’euros en plus pour la commune nouvelle ». S’ajoute à cela la diminution des impôts des Pierrefittois : la taxe foncière doit baisser de 19 %. « Cette fusion va être très favorable pour les habitants », assure le maire. De son côté, Farid Aïd s’agace : « C’est une supercherie. Déjà en 2023, alors qu’il avait promis de ne pas toucher aux taxes, Fourcade a augmenté de presque 10 % la taxe foncière. Il a aussi augmenté de 6,1 % le prix des cantines, des activités pour les retraités ou encore de l’accompagnement scolaire. »
Si les maires des communes respectives promettent monts et merveilles, beaucoup craignent la suppression des services publics. Kamel Brahmi, secrétaire général de la CGT 93, répertorie les coups de rabot orchestrés à tous les étages : « C’est toute une politique qui vise à faire des économies en concentrant les services » et les postes. À Saint-Denis, Mathieu Hanotin a fermé des bibliothèques de quartiers pour les rassembler en centre-ville et a expulsé une compagnie de son théâtre. Du côté de Pierrefitte, Michel Fourcade a supprimé le service municipal de la jeunesse, ainsi que l’école maternelle des Fortes Terres, et externalisé le service entretien… « Et maintenant ils annoncent vouloir développer les services publics comme s’il n’y avait jamais rien eu avant ? », s’étrangle Farid Aïd.
L’enjeu démocratique occulté
À l’annonce du projet, une association commune aux deux villes a émergé : « Stop fusion Pierrefitte Saint-Denis ! ». Les opposants au projet ont élaboré un site et rédiger un tract afin de connaître l’avis des habitants et des travailleurs des communes. En février 2024, un débat avait été organisé pour discuter de la situation. Mais une fois que « chaque maire a fait son laïus, ils ont coupé nos micros et ont plié les chaises », raconte le président de Stop Fusion, Christian Boutin. Un autre membre de l’association, Eric Legros, souffle : « Les maires camouflent la vérité. Au-delà des problèmes économiques de Monsieur Fourcade, Mathieu Hanotin a un véritable déficit électoral : il est en manque de voix parce qu’il se rend compte que son bilan démocratique n’est pas bon. » Selon l’élu communiste Farid Aïd, la fusion des deux villes socialistes aurait pour but de miner les chances du PCF de revenir en force aux municipales 2026.
La fusion a finalement été actée lors d’un double vote, le 30 mai. Là encore, non sans tension. À Saint-Denis : 45 voix en faveur de la fusion, 10 contre. Du côté de Pierrefitte, 26 pour et 10 opposants. Parmi les votants, deux élus de la majorité se sont abstenus et l’un d’entre eux a voté contre, avant d’être démis de ses fonctions dans la foulée. C’est de « l’autoritarisme », s’indigne Stéphane Peu, député PCF de la 2ᵉ circonscription de Seine-Saint-Denis : « Aucun élu n’est tenu de respecter ce qui ne figure pas dans le programme ». « Le vote était public. S’il avait été à bulletin secret, beaucoup auraient voté contre », témoigne Vanina Noël, adjointe à la démocratie locale et conseils de quartier, ainsi qu’aux droits des femmes. La Pierrefittoise est l’une des deux élus a s’être abstenue. Sentant le pire arriver, Vanina Noël a préféré agir : « J’ai démissionné avant qu’on ne me démette de mes fonctions. J’ai anticipé en rejoignant l’opposition. » Interrogé, Michel Fourcade justifie cette démission en évoquant « des raisons qui lui sont propres ». De son côté, Mathieu Hanotin est moins évasif et assume : « Sur un vote aussi crucial, si certains ne suivent pas, la suppression de la délégation n’est qu’une conséquence de l’acte de sortie de la majorité. »
Le maire de Saint-Denis considère toute critique « légère et facile ». Si la fusion ne convient pas aux habitants, ils n’auront qu’à voter pour une liste qui propose le retour en arrière : « Quel sera le comportement des électeurs lors des prochaines échéances électorales ? Bien malin celui qui peut y répondre. Nous nous concentrons sur le mandat confié par les électeurs en 2020 en mettant tout en œuvre pour améliorer leur situation », développe l’édile. En oubliant un peu vite que son mandat ne mentionnait aucun projet de fusion.
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