Comme chaque année, début juillet, Arles voit affluer des milliers de touristes du monde entier pour la semaine d’ouverture des Rencontres internationales de la photographie. Placardé dans les rues, exposé en galerie, musée ou église, le troisième art donne le tempo à la ville entière depuis la première édition en 1970 et, cette année, jusqu’à fin septembre. À quelques pas de la place centrale de la République, une grande façade blanche, classique, qui trône sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, ne fait pas exception. Au-dessus de la porte colorée d’un rouge franc, trois lettres ornent son fronton : CGT.
En cette saison 2024, la bourse du travail d’Arles se fait, elle aussi, et comme chaque année, l’hôte d’une exposition accessible à tous dans sa mythique salle Jean Barailler. L’union locale de la CGT et la CGT spectacle affichent pour l’occasion 15 œuvres de Daniel Challe, issues du reportage « Photos de classe » réalisé en 2022 dans le cadre de la grande commande de photojournalisme du ministère de la Culture, pilotée par la Bibliothèque nationale de France.
Le 3 juillet dernier, la bourse du travail d’Arles a ouvert ses portes à 18 heures, pour le vernissage de l’exposition qui, contrairement aux précédentes années, s’inscrit dans un combat, engagé depuis déjà plusieurs mois, contre la mairie d’Arles. Sous la grande voûte du hall flotte une banderole : « La CGT, 124 ans dans la bourse du travail, Elle y est, elle y reste. » En effet, l’édifice, ancien hôpital de la Charité, fondé dans la mouvance de l’œuvre de Saint-Vincent-de-Paul au XVIIe siècle, a été remis aux chambres syndicales ouvrières de l’arrondissement d’Arles en 1900. Mais le maire actuel affilié Horizons verrait bien à la place l’office de tourisme.
Projet plus global pour la ville
La bataille qui se joue actuellement entre ces murs a pris ancrage le 21 septembre 2023, lorsque l’UL CGT reçoit un courrier du premier édile arlésien, élu trois ans plus tôt. Dans cette missive, Patrick de Carolis informe l’organisation syndicale que la convention d’occupation qui la lie au bâtiment depuis 1995, et dont la prochaine échéance est le 31 mars 2024, ne sera pas reconduite en l’état. Le locataire de l’hôtel de ville invoque vouloir déplacer dans la grande salle l’office de tourisme, qui se situe actuellement juste en face, dans un petit bâtiment boulevard des Lices.
« Depuis quatre ans, nous essayons de réparer la ville, la rendre plus agréable pour les Arlésiens, justifie auprès de l’Humanité Patrick de Carolis. L’office de tourisme actuel était déjà considéré comme une verrue par mes prédécesseurs. » Selon lui, cela interviendrait dans le cadre d’un projet plus global de piétonisation de la place, impliquant de raser l’actuel office de tourisme et de rendre plus visible la façade de l’hôtel Jules-César. Pour ce faire, la CGT ne disposerait plus de la symbolique façade, de la grande salle d’exposition et, donc, de son local historique. Elle serait déplacée dans l’aile sud du bâtiment, c’est-à-dire dans des bureaux deux fois plus petits, sans accès direct à la rue et actuellement délabrés.
« Cœur battant de la démocratie sociale »
Ce soir de vernissage d’exposition, quelques dizaines de visiteurs commencent à remplir la bourse. Une longue table traverse la pièce recouverte de roulés aux saucisses, quiches et cubis. Nicolas Bourcy, secrétaire général de l’Union locale de la CGT d’Arles, décide alors, ému, de prendre la parole : « La salle Jean Barailler est le cœur battant de la démocratie sociale de la ville, un lieu essentiel de partage, de rassemblement, de réunion, de construction du rapport de force et des luttes, une salle ouverte aux Arlésiennes et aux Arlésiens qui veulent faire valoir leurs droits ou participer gratuitement à de nombreuses conférences et initiatives culturelles organisées par la CGT d’Arles tout au long de l’année. » C’est ainsi que, depuis 2007, 52 associations culturelles, plasticiens, photographes, écrivains et historiens sont intervenus dans cet espace. Pour Patrick de Carolis, la CGT n’a pas vocation à accueillir des associatifs ou donner lieu à des événements culturels.
Face à l’hostilité du syndicat, la municipalité, propriétaire des lieux, lui a donc proposé, par une nouvelle lettre datant du 1er mars, de procéder par étapes. Dans un premier temps : une prolongation de la convention actuelle, qui court exceptionnellement, sur une année, du 1er avril 2024 au 31 août 2025, date de projection de la fin des travaux de rénovation de l’aile sud. À l’issue de cette période, la mairie inviterait la CGT à y poser ses valises, laissant l’espace qu’elle occupe actuellement aux mains de l’office de tourisme. Après cette date, la mairie proposerait une nouvelle convention définissant les modalités d’occupation au sein du bâtiment. Le 22 mai, la CGT décline officiellement. « Le syndicat est donc aujourd’hui occupant sans titre, illicite », note le maire, espérant ainsi accentuer le rapport de force.
Volonté de fragiliser les syndicats
Le bras de fer entre syndicat et mairie dure désormais depuis quelques mois et reste, à l’heure actuelle, sans solution. « À chaque fois qu’il y a un maire de droite, il essaye de nous mettre dehors. C’est une attaque à l’encontre du syndicalisme en général », alerte Claude Mas, secrétaire de l’union locale CGT d’Arles. Si Patrick de Carolis voudrait que « l’on n’y voie pas un plan caché », l’organisation, ouvertement soutenue par les unions locales FO et CFDT, a constaté lors d’une conférence de presse commune, le vendredi 5 juillet, qu’en 2022, la municipalité avait déjà supprimé la subvention de fonctionnement aux trois syndicats.
Pour Nicolas Koukas, membre de l’opposition à l’hôtel de ville, « il y a une volonté claire de fragiliser les syndicats ». Le communiste, venu lui aussi soutenir la lutte à l’occasion du vernissage photo, souligne que, en tant qu’élu à la mairie, il a déjà étudié d’autres alternatives prêtes à être mises en œuvre. Pour le secrétaire du comité régional CGT Paca, Patrice Kantarjian, ayant également pris part au combat, « cette façade est une porte d’entrée accessible et visible pour les travailleurs en difficulté, c’est justement ce qu’ils (la mairie) veulent arrêter ».
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